Nos chroniqueurs s’expriment

 

 

« Vivre et travailler avec son autisme » Par Mathieu Lancelot

Des amis m’ont dit d’une certaine façon que les neurotypiques étaient forts pour nous inculquer des règles contradictoires. Je me reconnais beaucoup dans cette impression, tout en sachant à quel point la vie est complexe. Certes, il ne faut pas gêner les autres dans un open space à coups de bavardages, ni parler de politique, d’argent ou de religion à ses collègues.

Et pourtant, les gens ont un besoin impérieux de détendre l’atmosphère en parlant de tout et de rien – même de ces sujets « interdits », en connaissant bien leurs interlocuteurs ! Bien sûr, il faut se mettre d’accord avec son/sa binôme pour poser ses jours de congés, par souci d’équité. Mais que faire si on est sous pression pour confirmer des vacances rapidement ? Et s’il est mal vu de crier sur le lieu de travail, comment garder sa colère longtemps pour soi quand la situation est ingérable ?

Il n’y a rien de pire que de devoir être diplomate à tout instant, que l’on soit autiste ou neurotypique : incapacité à trouver les mots, peur d’être rejeté, de perdre la face, etc. Au moindre incident avec l’autorité, même dans un environnement bienveillant et compréhensif, la vie est compromise ; l’estime de soi est perdue et un simple réconfort peut mettre du temps à nous calmer. Cela fait 4 ans que je travaille en grande entreprise, alors que d’autres autistes ne conservent pas leur emploi plus d’un an.

En ce moment, je fais une thèse en sociolinguistique sur la représentation de l’autisme en France dans un contexte de neurodiversité.

Vivre son autisme est un objet vaste, pluriel, pour lequel il n’y a pas une réalité, mais plusieurs qui coexistent : la personne telle qu’elle est, ses stratégies de compensation, les apports et les exigences de son propre environnement, ainsi que les écarts entre tous ces éléments. Cet objet pluriel qu’est l’autisme et le vécu de personnes différentes et de leur entourage m’intéressent ici, d’autant que personne n’a jamais abordé ce sujet auparavant.

 

« L’ONU, une claque au gouvernement français, passée sous silence média » Par Hugo Horiot

Ceci n’est pas une « fake news » mais plutôt une « no news » puisque aucun média « main stream » n’en a parlé, alors que plus de 12 millions de nos concitoyens sont concernés : la France a pris début mars une leçon pour ne pas dire une claque en matière de droits de l’homme. En l’occurrence, le professeur est une femme : il s’agit de Catalina Devandas-Aguilar, rapporteuse spéciale de l’ONU, qui vient de rendre public son rapport sur les droits des personnes handicapées dans notre pays. Avec 300 000 enfants et adultes enfermés dans nos institutions, le moins que l’on puisse dire, c’est que l’idéal de « société inclusive » est encore très loin et que nous ne pourrons y tendre sans en passer par l’étape nécessaire de « désinstitutionnalisation ». Ce « gros mot » que nombre de responsables politiques n’osent prononcer de peur d’effrayer l’opinion ou de froisser certains groupes d’intérêts, car il signifie « fermer progressivement tous les établissements pour personnes handicapées » pour les transformer en services de proximité et créer des lieux de vie autonomes. Selon la rapporteuse, « Il n’existe pas de bon établissement d’accueil puisqu’ils imposent tous un certain mode d’existence qui limite les possibilités d’avoir une vie agréable sur la base de l’égalité avec les autres ». Le rapport met en lumière également la surreprésentation, au sein du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées, des « prestataires de service et des associations de parents », qui « continuent d’influencer la prise de décisions ». Alors que « des efforts plus importants sont nécessaires pour consulter en premier lieu les organisations de personnes handicapées et élargir leur représentation ».

Pas moins de 40 recommandations sont émises à la France comme par exemple « de transférer au Ministère de l’Éducation Nationale toutes les ressources financières et humaines et les responsabilités en matière d’éducation des enfants handicapés qui étaient celles du Ministère des Solidarités et de la Santé », et « de fermer les institutions médico-éducatives existantes et de scolariser tous les enfants handicapés qui s’y trouvaient dans des établissements ordinaires, en veillant à leur apporter le soutien dont ils ont besoin » ou encore « d’interdire le placement administratif ou le placement en institution des enfants autistes et de veiller à ce que les parents qui s’opposent au placement de leur enfant ne fassent plus l’objet de représailles »

Quand on lit certains extraits de ce rapport, il y a parfois matière à se demander sur quelle obscure dictature du Tiers-monde il porte. Or il s’agit bien de notre démocratie, la patrie des droits de l’homme où le droit ne serait d’ailleurs pas conforme à la Convention relative aux droits des personnes handicapées de l’ONU. La rapporteuse observe que « la loi no 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées n’est pas pleinement conforme à la Convention et a une portée plus limitée. Par exemple, la loi ne fait pas référence aux droits fondamentaux tels que les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, ni au droit à la reconnaissance de la personne juridique dans des conditions d’égalité et au droit de jouir de la capacité juridique sur la base de l’égalité avec les autres. De plus, la définition du handicap figurant à l’article 2 (qui porte modification de l’article L114 du Code de l’action sociale et des familles) est axée sur la déficience et non sur l’interaction de la personne avec l’environnement et sur les obstacles existants, et elle devrait donc être revue. »

Les textes de loi constituant la base du fonctionnement d’une société, en l’état actuel des choses, la transformation d’une France ségrégationniste en une France inclusive peut-elle se passer d’une grande loi sur le handicap, à savoir une refonte de la loi 2005 ?

Copyright : Michel Tessier et Sandrine Roudeix

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