Bienvenue dans ma ville, Bordeaux

Je m’appelle Elisabeth, mon fils s’appelle Julien, et il est différent. Je ne suis pas une bordelaise depuis plusieurs générations, mes parents sont arrivés d’Algérie dans les années 60. Mais je ne me sens pas une bordelaise d’adoption non plus … Je suis une hybride.

 

La ville de mon enfance

J’ai passé toute mon enfance dans le quartier du triangle d’or. Il est nommé ainsi du fait de la figure géométrique formée par le cours de l’intendance, le cours Georges Clémenceau et les allées de Tourny où mes grands-parents vivaient et le quartier de la Place Jean Moulin près de la mairie, en bas de la rue Vital Carles où ils avaient leurs bureaux et leur magasin. Ces deux quartiers de Bordeaux forment un bel ensemble architectural du XVIII e siècle. L’architecte qui y est rattaché est Victor Louis dont la plus belle réalisation est le Grand Théâtre. Depuis notre ville a été métamorphosée ,  « La belle endormie » a été embellie par les transformations et les travaux, les pierres ont été blanchies, les éclairages modernisés, des rues ont été dépavées et le tramway est arrivé.

Le Bordeaux d’aujourd’hui je le vois à travers les yeux de mon fils, Julien, jeune autiste de 18 ans.

Le diagnostic et le regard des autres

En 2003, lorsqu’il a été diagnostiqué, les rues de Bordeaux se sont dérobées sous mes pieds.

J’ai même pensé un temps quitter la région. Je me suis heurtée au diagnostic lourd et sans appel : « Votre fils ne parlera jamais, il ne sera jamais propre, il n’ira jamais à l’école. » Le parcours du combattant a commencé, et je me suis mise à rêver d’un avenir pour mon fils dans cette ville.

Je l’ai amené jouer dans les parcs de la ville qui m’avaient vue grandir comme le Jardin Public et Le Parc Bordelais… J’y ai vu des regards lourds de conséquence sur la différence et j’ai entendu des mots blessants qui ne me laissaient pas le choix. Il fallait que je me batte pour voir les murs de préjugés s’effondrer, changer les mentalités et le regard méprisant posé sur mon fils.

Nous sommes allés aussi dès son plus jeune âge régulièrement au CAPC, le musée d’Art Contemporain de Bordeaux qui a pris place dans l’ancien entrepôt Lainé construit au XIX siècle. Curieusement alors qu’il était au plus profond de son autisme, ce lieu l’a apaisé et intéressé.

Je me demande aujourd’hui, si ces visites dominicales n’ont pas éveillé très tôt chez lui le goût de l’art contemporain et celui du design pour lesquels il a développé un réel intérêt, et une véritable compétence.

Aujourd’hui Julien est un jeune homme qui a une vie sociale. Il adore sortir et aime sa ville.

Nous y avons nos adresses fétiches…

Il y a la boutique de bijoux « Au Clips », allées de Tourny, où je trouve toujours de vrais petits trésors. Julien y va en confiance pour y faire ses cadeaux puisqu’il sait qu’il sera toujours bien reçu et conseillé par une équipe accueillante et bienveillante. Ces jeunes femmes prennent le temps de le laisser choisir. Elles le suivent même sur les réseaux sociaux, ce qui leur permet de discuter, et d’échanger régulièrement avec lui. Et j’aime le regard qu’elles posent sur mon fils.

Nous avons nos adresses gourmandes. La première est le chocolatier Saunion, cours Georges Clémenceau. Le savoir-faire traditionnel est transmis depuis quatre générations. Les chocolats sont fabriqués sur place dans l’atelier. Il y a un véritable travail d’orfèvre, un travail d’exception. L’équipe du magasin connaît et reconnaît Julien, et lui accorde une attention et un intérêt particuliers. Il a d’ailleurs eu l’occasion de faire une visite guidée de l’atelier et en garde un souvenir gourmand et instructif.

Prendre le thé, l’hiver à l’Orangerie du Grand Hôtel, place de la Comédie face au Grand Théâtre, est un plaisir raffiné dans une ambiance feutrée et réconfortante. Julien y savoure les pâtisseries proposées mais aussi le calme qui y règne. Cela lui permet de prendre une pause après avoir dû affronter le bruit de la ville et de la foule qui se presse.

Et lors des soirées d’été, nous allons sur le Rooftop de ce même Grand Hôtel au Night Beach pour y prendre un verre et découvrir un panorama à 360 ° sur Bordeaux.

Pour tout vous dire, ce lieu nous a aidés à franchir une étape. Pendant des années, Julien n’allait pas voir le feu d’artifice du 14 juillet. Le bruit strident des pétards, les mouvements de foule étaient trop anxiogènes pour lui. Et un jour, il a eu l’idée de se rendre dans ce lieu protégé qui lui a permis de vivre le premier feu d’artifice de sa vie, et il a adoré.

Notre vie au Bouscat

Puis nous avons fait le choix de vivre dans une commune limitrophe de Bordeaux, Le Bouscat.

Bordeaux est ceinturée par des boulevards. C’est là que se situent ce que l’on appelle les Barrières qui correspondent aux anciens octrois. Chaque Barrière a son quartier. La plus commerçante est La Barrière du Médoc qui délimite Le Bouscat. Ce lieu ressemble à un petit village tranquille.

J’y ai mes habitudes et Julien peut y faire ses courses en parfaite autonomie. Tout le monde le connaît parce qu’il est scolarisé dans le quartier depuis des années.

C’est comme ça qu’il peut quitter le lycée et se rendre directement chez notre coiffeur au Salon des Grands Boulevards où on prend soin de lui avec respect et gentillesse. Il y est écouté et considéré c’est un client à part entière. C’est que chez nous les cheveux c’est quelque chose !

Je lui ai appris à faire attention à lui, à son apparence. Et il y a pris goût !

A la Barrière, il prend plaisir à aller chez « GIFT » choisir des objets qui sortent de l’ordinaire et discuter avec les gérants qui prennent toujours le temps de prendre de ses nouvelles.

Je suis très fière aussi d’avoir connu dans ce lieu François Gaulon, plus connu sous son nom d’artiste Glon. Cet homme, qui est devenu mon ami, a le don de croquer la comédie humaine à merveille. Il a connu Julien tout petit, et m’a vue au plus profond de mon désarroi… Et aujourd’hui il m’aide comme graphiste pour l’association SOS Autisme France que je représente à Bordeaux.

Et pour conclure, si ces quelques lignes vous ont donné envie d’en savoir plus sur Bordeaux, je vous conseille le blog incontournable de Sylvie Estrade : le-blog-enfin-moi.com. Sylvie est une bordelaise débordante d’énergie qui connaît sa ville et ses alentours sur le bout des doigts. Elle déniche toujours le lieu atypique, l’adresse incontournable, un restaurant de qualité… Il y a 10 ans, c’est elle qui a fait un article sur moi afin de parler de la difficulté des mères à concilier vie professionnelle et autisme.

Je m’aperçois que j’aurais pu aussi vous parler des personnes et des institutions qui s’investissent dans la différence à Bordeaux. Je pense notamment à toutes les entreprises qui ont pris Julien en stage, ( France 3,  une étude notariale, la mairie du Bouscat, La CCI…). Je pourrais vous parler aussi indéfiniment de l’investissement de Joël Solary, adjoint au maire de Bordeaux en charge des politiques en faveur des personnes en situation de handicap, qui ne ménage pas ses efforts pour faire évoluer la reconnaissance des personnes différentes à Bordeaux.

Par Elizabeth Andreu-Marcuzzi

Partager