Professeur Yehezkel Ben-Ari : « Autisme : Le gouvernement ne doit pas tout miser sur la génétique ! »

Interview du Professeur Yehezkel Ben-Ari, neurobiologiste, directeur émérite à l’Inserm, fondateur de l’INMED et président de la société de biotechnologie Neurochlore.

Olivia Cattan : De nombreux travaux  suggèrent que le cerveau des enfants autistes serait plus volumineux –en tout cas jusqu’à l’adolescence – que celui des non-autistes. Une étude plus récente suggère que cela commencerait avant la naissance et que la maturation cérébrale serait impactée par le processus pathologique déjà in utéro. Qu’en pensez-vous ?

Yehezkel Ben-Ari : Ces travaux sont essentiels car ils soulignent l’importance du développement cérébral in utéro et peut-être aussi pendant l’accouchement et la naissance. Ils sont basés sur une comparaison entre prématurés nés à différents âges. Le concept de neuro-archéologie, que j’ai proposé il y a 10 ans, et qui est confirmé depuis dans des conditions expérimentales, suggère que des troubles in utéro, qu’ils soient génétiques ou environnementaux, impactent le processus de construction, et que ce sont les altérations produites qui sont la cause finale de ce syndrome. Par conséquent, c’est sur ces troubles et les modifications qu’ils entraînent qu’il faut travailler si on veut comprendre ce syndrome. J’ai aussi proposé que le processus de naissance, et les conditions dans lesquelles il a lieu, impactent la suite : l’incidence de l’autisme est plus grande après une naissance prématurée ou après des inflammations intra-utérines bactériennes ou virales importantes pendant la grossesse. Voilà pourquoi, depuis dix ans, je développe le concept d’un lien direct entre un défaut de maturation neuronale in utero et le développement des pathologies neurologiques et psychiatriques. N’oublions pas que la naissance est l’un des processus biologiques les plus complexes, et nous ne savons toujours pas comment le cerveau se prépare à cela.

OC : Quels étaient les résultats de vos derniers travaux, publiés le 23 janvier 2018 ? 

YBA : Nous avons reconstruit des cerveaux de rongeurs témoins et autistes peu avant et après la naissance. Cette comparaison, que l’on ne peut faire chez la femme pour des raisons évidentes, est importante car la comparaison entre prématurés ne permet pas de déterminer le rôle de l’accouchement et de la naissance par voie basse sur le processus pathologique. Nous avons observé que chez les rats témoins, la croissance cérébrale intra-utérine s’arrête peu avant la naissance probablement pour se préparer à cet événement complexe. Par contre, chez les rats autistes, l’arborisation neuronale et le volume cortical continuent à croître pendant le processus, suggérant que le mécanisme qui prépare le cerveau à la naissance est déficient chez des futurs autistes.  Si ces observations étaient confirmées chez l’homme, cela impliquerait que la stimulation de la croissance cérébrale que l’on observe après la naissance chez le bébé en fait commence déjà pendant la naissance. Etant donné la complexité du processus et sa vulnérabilité, il est probable que cette croissance va impacter négativement la maturation des fonctions notamment sensorielles à la naissance. Notons que juste après la naissance, nous avons pu observer une augmentation des volumes de l’hippocampe, région impliquée notamment dans les interactions sociales.

OC : Serait-ce la seule cause de l’autisme ?

YBA : Non, je pense que l’autisme est causé par une série d’événements intra-utérins et pendant la naissance qui impactent les premiers contacts mère/enfant. Des travaux récents montrent par exemple que dans un modèle animal d’autisme, une inflammation intra-utérine, dont on sait qu’elle induit aussi l’autisme, affecte, à la fois le microbiote mais aussi les mécanismes immunitaires de l’inflammation. Et que ces deux ensembles causent une malformation corticale qui est la cause finale du syndrome. On le voit, il est impossible de dissocier mutations génétiques et environnement, et penser que l’identification des centaines de mutations génétiques possiblement impliquées dans l’autisme va permettre de comprendre ce syndrome et le guérir ! Ce serait une erreur car il n’y pas de lien direct entre un gène, une protéine, une « maladie » dans l’écrasante majorité des « maladies cérébrales ». Un gène ne cause pas la « maladie » de façon linéaire mais au travers de cascades de processus….

OC : Que pensez-vous des dernières découvertes faites par l’imagerie médicale sur l’autisme ?

YBA : L’imagerie sophistiquée nous révèle certaines choses mais n’explique pas tout. Il y a depuis quelques années une croyance en ces imageries, à mon avis excessive, car les données sont trop grossières pour pouvoir disséquer les mécanismes sous-jacents.

OC : Après de nombreuses annonces gouvernementales, la ministre du Handicap Sophie Cluzel met-elle réellement tout en œuvre pour financer la recherche en matière d’autisme ?

YBA : Aujourd’hui en France, les budgets sont alloués principalement aux chercheurs en génétique. Une posture que je trouve d’ailleurs eugéniste car in fine, ces observations permettent au mieux –et pas souvent d’ailleurs-de baptiser « la maladie » et de lui donner une possible origine. Mais pour comprendre et traiter l’autisme et la plupart des troubles du développement, il faut comprendre comment ces mutations affectent le développement du cerveau et le concept de neuro-archéologie permet ces avancées car nous avons montré que les neurones qui ont été impactés par le processus in utéro ne mûrissent pas et gardent des propriétés immatures ouvrant la voie à des traitements basés sur des agents qui bloquent uniquement ces propriétés immatures effectuant ainsi une espèce de chirurgie pharmacologique avec peu d’effets secondaires. Et c’est ce pourquoi je me bats aujourd’hui. Dans ce but, j’ai créé un fonds d’action qui va construire un institut privé de recherche dédié notamment à l’autisme à Marseille dans le campus scientifique de Luminy dans lequel des équipes de recherche vont travailler sur ces aspects qui ne sont pas « à la mode » mais essentiels pour comprendre et traiter les troubles du développement.

OC : Avez-vous conscience que la sémantique est importante, et que considérer l’autisme comme une maladie est extrêmement combattu par les personnes autistes et certaines associations comme SOS autisme ?

YBA : Je le comprends évidemment. Mais attention, je ne considère pas l’autisme comme une maladie mais les troubles importants parfois qui y sont associés. Et ce sont ces troubles-là que je veux soigner grâce à un traitement.

OC : Depuis 4 ans, vos équipes ainsi que celles du Dr Eric Lemonnier, pédopsychiatre au CHU de Limoges, testent la bumétanide, qui est un diurétique. Selon vous, ce traitement diminuerait certains symptômes autistiques, où en êtes-vous aujourd’hui ?

YBA : Nous avons essayé ce traitement sur de nombreuses personnes autistes. Et cela a donné d’excellents résultats sur des centaines d’enfants testés, notamment au cours de 2 essais cliniques de phase 2 sur certains troubles comme la communication visuelle, la concentration, et l’agitation. Aujourd’hui, nous en sommes à une phase 3 finale européenne de ce traitement. Dans le cadre d’un accord entre Neurochlore et Servier, nous recrutons 400 enfants autistes, de 2 à 18 ans. Sur le plan expérimental, nous avons montré les effets bénéfiques de la molécule administrée pendant la naissance, et les liens qu’elle a avec l’ocytocine qui déclenche le processus et qui joue un rôle majeur dans les relations mère/enfant à ce stade. Nous sommes en train de reconstruire en 3D des cerveaux témoins et autistes, avant et après la naissance, afin de déterminer quel système sensoriel est impacté par le mécanisme pathologique qui va aboutir à un syndrome autistique. Le financement de ces travaux sera basé sur le mécénat mais aussi sur les résultats des essais cliniques, les observations d’aujourd’hui finançant les traitements de demain.

Propos recueillis par Olivia Cattan

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