Neurosciences : la promesse d’un monde meilleur ?

« L’homme est une unité » (J.Caston)

Lorsque l’on évoque les neurosciences, il faudrait semble-t-il aujourd’hui choisir un camp, celui du pour ou celui du contre. L’entrée au Conseil scientifique de l’Education nationale de  Stanislas Dehaene, à la fois psychologue et neurobiologiste, directeur de Neurospin, centre de neuro-imagerie cognitive, et professeur au Collège de France a provoqué beaucoup de remous. L’objectif de cette nomination par le Ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer, est d’apporter aux enseignants une base plus scientifique du processus d’apprentissage. Mais des syndicats d’enseignants, des psychanalystes, des philosophes, ainsi que des sociologues ont tiré la sonnette d’alarme. Leurs craintes étant d’une part, l’instrumentalisation des neurosciences par le pouvoir politique, et d’autre part le risque d’imposer les seules neurosciences comme une science de la conscience humaine en évinçant « une réflexion et une recherche pluraliste ». La question qui se pose aujourd’hui pour les familles d’enfants « différents » est de savoir si la nouvelle politique éducative, influencée par les neurosciences, favorisera l’inclusion des enfants autistes, dys, hyperactifs, précoces… Ou si au contraire cette recherche insatiable d’ultra compétence leur barrera définitivement la route de l’école.

En France, aujourd’hui, les neurosciences sont à la mode. Ce mot, qui a été vulgarisé, est utilisé à tort et à travers dans le monde éducatif, culturel, médical, politique et dans celui de la communication et du marketing tous azimuts. Le mot se suffit d’ailleurs à lui-même. A peine prononcé, tout semble être dit, générant un entrain débordant et un espoir sans limite.

Mais lorsque l’on creuse davantage, et que l’on interroge certains utilisateurs ou partisans des neurosciences afin qu’ils en donnent une simple définition, ils en sont pour la plupart du temps incapables. Ils ne savent pas non plus que le concept des neurosciences, si prisées aujourd’hui, existe depuis les années 70 afin de désigner l’ensemble des disciplines scientifiques et médicales étudiant le système nerveux, tant au niveau de sa structure que de son fonctionnement. Alors pour mieux comprendre l’impact de l’utilisation des neurosciences sur nos vies, il est important de remonter dans l’histoire de l’humanité afin de retrouver les origines historiques de cet insatiable questionnement sur le cerveau humain.

Ce questionnement remonte à la nuit des temps, associé parfois à un grand nombre d’hypothèses farfelues, en corrélation avec l’état des connaissances scientifiques de l’époque. De nombreux médecins et philosophes se sont penchés sur le lien entre le fonctionnement du système nerveux et la pensée au cours des siècles précédents. Et le cerveau n’a pas toujours occupé une place prédominante dans les différentes cultures.

Un questionnement millénaire

Nous pouvons tout d’abord évoquer les traités médicaux de l’Egypte ancienne avec la découverte de deux papyrus, le Papyrus Ebert et le Papyrus Smith. La connaissance du système nerveux semble être connue depuis environ 1700 av JC. L’un des traités donne des recettes pharmacologiques, l’autre décrit déjà les atteintes du cerveau et de ses méninges. Ce dernier traité est l’une des toutes premières traces d’une association entre l’intégrité du cerveau et les fonctions cognitives : « Il constitue le premier document connu du rôle du cerveau dans la commande du mouvement de membres ou d’organes situés dans le corps à grande distance de lui. Dans ce texte et pour la première fois dans l’histoire, le cerveau apparaît sous un nom qui lui est propre et responsable de comportements moteurs. Néanmoins, il n’est pas sûr que les anciens Egyptiens aient compris les implications profondes de ces observations ».[1] Parce qu’en effet, malgré cette approche, lors de la momification du corps du pharaon, le cerveau, était extirpé du crâne et jeté, jugé inutile à la survie dans l’au-delà. Alors que les organes importants comme le foie, les poumons, l’estomac et les intestins étaient conservés dans des jarres placées dans sa tombe. Et que le cœur, siège des sentiments, de l’âme, de la conscience et de la vie, restait en place dans le corps.

Nous pouvons également évoquer le père de la médecine, le médecin et philosophe grec Hippocrate (-466/-377 avant JC) qui écrivait : « Les hommes doivent savoir que du cerveau et du cerveau seulement naissent nos plaisirs, nos joies, nos rires et plaisanteries aussi bien que nos peines, nos douleurs, nos chagrins et nos larmes ».

Il y eut Avicenne, médecin, philosophe et alchimiste  et Averroès, médecin, juriste et philosophe, qui ont eux aussi permis de faire progresser la biologie en étudiant le fonctionnement du cerveau.

Mais c’est l’anatomiste de la Renaissance, André Vésale au 16e siècle, qui considèrera le cerveau comme le siège de la pensée après avoir fait de nombreuses dissections.

Le philosophe et mathématicien Descartes au 17e siècle quant à lui pensait à tort que la glande pinéale était le siège de l’âme et que les échanges entre le corps matériel et l’âme immatérielle se faisaient par cette sorte d’interface unique. Il considérait le cerveau comme une mécanique. Mais l’hypothèse qu’il évoqua, l’idée de transmission d’ordres via les nerfs, constitue alors une avancée majeure.

Au 18e siècle, le médecin et physicien italien Luigi Galvani inaugurera l’étude du fonctionnement du système nerveux en découvrant la notion de « bioélectricité ». Pendant que le médecin allemand Franz Joseph Gall donnera naissance à une nouvelle discipline, la phrénologie, l’étude du caractère et des facultés dominantes d’après la forme du crâne. Pour ce médecin, le cortex est fondamental puisqu’il assigne à chacune des facultés humaines une localisation particulière. Franz Joseph Gall établira d’ailleurs une carte topographique du crâne en supposant que celui-ci est le reflet de la surface cérébrale. En collectionnant les crânes d’hommes célèbres et de criminels ou de malades mentaux, il élaborera la thèse qui permet, par un simple examen des reliefs de la boîte crânienne, l’analyse de 35 fonctions intellectuelles comme l’intelligence, l’agressivité, l’espoir, la confiance, le patriotisme, l’instinct du foyer, l’aptitude au vol et la bosse des math. Ce qui fut contesté depuis.

Des avancées marquantes

Mais c’est véritablement au 19e siècle que les recherches parallèles de nombreux scientifiques aboutiront à de grandes avancées sur la connaissance du fonctionnement du système nerveux : l’étude du médecin, anatomiste et anthropologue français Paul Broca et du neurologue et psychiatre allemand Carl Wernicke formera les prémisses de la « neurologie expérimentale » et de l’étude des fonctions cognitives du système nerveux lors de travaux scientifiques sur des patients souffrant de lésions cérébrales. Avec l’étude anatomique post-mortem de certains de ses patients, en particulier de Monsieur « Tan-Tan », qui comprenait le sens des mots mais ne pouvait répéter qu’une seule syllabe « Tan », Paul Broca découvre une partie entre le sourcil et la tempe gauche qui est lésée (lobe frontal). Il établit le lien entre cette lésion située dans l’hémisphère gauche (maintenant appelé aire de Broca) et le langage articulé. Cette aire de Broca est considérée depuis comme le centre du langage. A la même époque, Carl Wernicke identifiera une seconde zone (cette fois temporo-pariétale) impliquée dans le langage avec un malade qui est incapable de comprendre le sens des mots et d’énoncer des phrases sans aucune signification (L’aphasie de Wernicke : langage volubile avec des mots mais pas de phrases compréhensibles).

En 1875, le médecin et scientifique anglais, Richard Caton fera état de l’activité neuro-électrique du cortex cérébral en lien avec le comportement. En 1891 le concept de neurone comme cellule nerveuse, sera proposé par l’anatomiste allemand Heinrich Wilhelm Waldeyer. Alors que le médecin et scientifique anglais, Charles Scott Sherrington, fera de grandes contributions en physiologie et neurosciences en inventant notamment le terme de « synapses » qui désigne le point de connexion entre deux neurones.

Les espagnols Camillo Golgi et Santiago Ramon y Cajal découvriront quant à eux la structure et l’organisation des neurones, grâce à la coloration des coupes histologiques du tissu nerveux et leur observation au microscope.  Ils obtiendront le Prix Nobel de physiologie en 1906 pour leurs travaux sur la structure du système nerveux. Mais Camillo Golgi défendra la théorie réticulaire en opposition à son homologue qui défendra la théorie neuronale.

C’est donc véritablement à la fin du 19e siècle, après toutes ces décennies de découvertes, que les scientifiques prendront conscience du rôle essentiel du cerveau et du système nerveux.

En 1929, le médecin allemand Hans Berger mettra en évidence les signaux électriques émis par le cerveau et inventera une technique révolutionnaire, l’électroencéphalogramme, qui nous permettra d’améliorer la compréhension du cerveau humain.

C’est seulement à partir des années 1930 que l’on découvre véritablement la nature des neurotransmetteurs avec les études du neuroscientifique britannique Henry Hallett Dale et du pharmacologue germano-américain Otto Loewi. Ils mettront en évidence le rôle de neurotransmetteur de l’acétylcholine dans le reste du système nerveux. Plus tardivement, on démontrera que le neurotransmetteur excitateur des neurones du cerveau est le glutamate, et que le neurotransmetteur inhibiteur est en général le GABA. Ce qui donnera naissance, à partir des années 50, à une neuropharmacologie et son lot de neuroleptiques et antidépresseurs.

Les interactions entre le système nerveux et le système immunitaire seront véritablement mises en évidence dans les années 70 avec les travaux précurseurs du neurobiologiste Henri Laborit, et du psychologue américain Robert Ader : le cerveau influence le système immunitaire et celui-ci affecte le cerveau. Il existe donc un véritable système neuro-immunitaire.

Cette longue épopée de recherche sur le cerveau et le système nerveux a toujours été questionnée depuis la nuit des temps. Les réponses apportées ont été plus ou moins justes selon les époques mais ont contribué à nourrir le raisonnement. Et même si aujourd’hui, les grands spécialistes du cerveau actuels nous donnent parfois l’impression d’avoir toutes les réponses, grâce notamment aux progrès de l’imagerie cérébrale, il n’en est rien. Comme l’écrit Rita Carter dans son ouvrage l’Atlas du cerveau : « L’exploration de l’esprit en est encore à ses débuts et notre vision actuelle du cerveau n’est probablement guère plus complète et précise que ne l’était une carte du monde au XVI siècle ». Voilà pourquoi il est important d’avoir un peu de recul envers les neurosciences, et ne pas tout prendre comme argent comptant.

L’émergence des neurosciences

Les neurosciences, en tant que discipline, sont arrivées dans les années 70 émergeant de la branche de la biologie et de la médecine. Dans les années 80, de nombreuses  conférences sur le sujet s’organisent ; des communautés, centres de recherche et filières universitaires spécifiques se créent ; des journaux spécialisés comme The journal of cognitive Neuroscience sont édités en 1989.

Elles ont progressé par la suite avec la chimie, la neurologie, la radiologie, la psychologie, l’informatique et la physique, en corrélation avec l’évolution des connaissances scientifiques.

Parallèlement, les sciences cognitives, ensemble de disciplines scientifiques visant à l’étude et à la compréhension des mécanismes de la pensée humaine, animale ou artificielle, se sont développées depuis 1956. Elles forment une discipline à la jonction des neurosciences, de la psychologie, de la linguistique, de l’intelligence artificielle ainsi que l’anthropologie, la philosophie ou l’épistémologie. Et du point de vue des sciences cognitives, les neurosciences ne sont qu’un domaine parmi d’autres d’étude de la cognition.

Aujourd’hui de nombreux spécialistes du cerveau sont invités régulièrement dans les médias pour évoquer les neurosciences et les sciences cognitives comme Antonio Damasio, Horace Barlow, Jean-Pierre Changeux, Steven Pinker… Mais cette vulgarisation débouche malheureusement parfois soit à l’instrumentalisation de cette science expérimentale à des fins politiques et économiques, soit à des dérives frauduleuses : coaching à base de neurosciences pour maigrir, arrêter la cigarette, apprendre à jouer d’un instrument, soigner des dépressions, et le plus grave, guérir de maladies graves comme le cancer. Il y a aussi des gourous en neurosciences qui organisent des week-end de méditation et de stimulation du cerveau avec le discours marketing qui va avec : « retrouver la pleine conscience pour attirer vers soi le positif » avec entre autres arguments, la promesse de trouver un job, un mari ou de soigner son eczéma.

Tout le monde brandit les neurosciences comme un outil qui nous permettrait à tous et à toutes de tirer le maximum de nous-mêmes, de nous sauver et de faire face à tout. Elles apparaissent comme la promesse d’un nouveau monde, un monde meilleur. Mais incluent-elles les personnes en situation de handicap ?

Thomas Schauder, philosophe et chroniqueur au Monde Campus, témoigne : « Aujourd’hui les neurosciences sont partout. Cette vulgarisation est dangereuse et traduit de l’air du temps du moment. Notre société tend à objectiver un grand nombre de choses. Et en objectivant l’humanité, cela déresponsabilise l’être humain. Avec les neurosciences, nous avons la vision d’un mécanisme mais pas de l’individu. C’est pour cela que les neurosciences doivent rester dans le domaine des sciences. Mais ne peuvent en aucun cas être la référence suprême en matière de politique éducative. Prenons un exemple, aujourd’hui, lorsqu’un enfant est mauvais en math à l’école, on va essayer de comprendre pourquoi, en tentant de lui réexpliquer son cours. Avec les neurosciences, on risque de se dire que cet enfant ne comprend pas les math parce qu’il a une incompétence cérébrale ou génétique. Le problème est que, si on se rend compte que de très nombreux enfants sont mauvais en math, va-t-on alors remettre en cause la politique éducative en rendant les mathématiques optionnelles au lycée pour ces enfants ? Et que fera-t-on face aux élèves en situation de handicap qui ont des systèmes de pensée différentes ? Lorsque Stanislas Dehaene qui dirige le comité scientifique de l’Education nationale parle des élèves, il les décrit comme s’il s’agissait de souris de laboratoire. Il nie leurs sentiments, leurs émotions ainsi que le plaisir lié à l’apprentissage. Et il néglige la croyance que les enseignants ou les parents mettent en lui. Ne soyons pas dupes, l’utilisation des neurosciences, est non seulement politique mais aussi liée au capitalisme, et au tournant néo-libéral des années 80. L’individu est vu aujourd’hui par le prisme de ce qu’il vaut, de ce qu’il va rapporter. Il y a une véritable taylorisation de l’être humain dans toutes les sphères de son existence afin de le rendre conforme au marché, et rentable. D’ailleurs on utilise les termes d’adaptation, de progression, de compétences parce que nous avons besoin d’évaluer et de quantifier tous les phénomènes humains. En conclusion, les neurosciences vulgarisées nous automatisent et nous déshumanisent. Mais il ne faut pas les rejeter  en tant que science. Il faudrait une discussion collégiale à voix égales, sur l’être humain et son devenir, de l’ensemble des disciplines allant de la chronobiologie, la psychanalyse, la sociologie, les sciences humaines aux neurosciences et la philosophie ! Cela permettrait de donner un sens à la société. Mais la science à elle seule ne peut donner la clef d’un individu. Cela pose un problème éthique et épistémologique. Et comme cette religion du marché où l’humain est devenu une machine ne propose aucune spiritualité, les gens tentent, par tous les moyens, de redonner un sens à leurs vies. Soit ils se tournent vers les religions, soit vers des coachs de développement personnel  qui se revendiquent des neurosciences, expliquant que la pensée magique et l’état de pleine conscience permettront aux gens de trouver le bonheur. Mais tout cela n’est qu’une grande illusion ». 

De nombreux psychiatres comme Gérard Pommier ont également expliqué que dans le domaine éducatif, les neurosciences pouvaient s’avérer dangereuses : « Avec les neurosciences, on laisse à penser que les problèmes des enfants sont des problèmes de conformité génétique et de neuro-développement sans prendre en compte les déterminations psychiques et familiales. Affirmer que l’humain est déterminé à l’avance par ses gènes, c’est de l’eugénisme. Les médecins allemands de 1890 faisaient les mêmes démonstrations pour accréditer leurs thèses de différences entre les races ».

Selon leurs raisonnements, il y aurait donc un double discours politique, une recherche d’une part d’une ultra compétence à l’école, au travail… facilitée et encouragée par l’application des neurosciences dans les méthodes d’apprentissage ou de coaching des salariés… Et de l’autre le respect de la spécificité et du niveau de chaque individu. Ce qui aboutirait probablement à laisser sur le bord de la route « les non performants ». Quel serait donc l’avenir des personnes en situation de handicap !

Ce double discours est aussi accompagné d’une confusion entre neurosciences, sciences cognitives appliquées à l’éducation, et psychologie expérimentale. Un flou qui serait volontaire selon le Professeur de psychologie à la faculté de Genève, Édouard Gentaz : « Cela est entretenu plus ou moins consciemment dans l’espace médiatique par certains journalistes et chercheurs. Elle résulte probablement d’une illusion cognitive. En effet, les recherches psychologiques comportementales (Keehner, McCabe & Castel) montrent qu’ajouter le préfixe neuro en accompagnant le discours de belles images de cerveau en 3D rend plus crédible l’information transmise auprès d’adultes naïfs. Il existe depuis quelques années une relative confusion dans l’évocation des disciplines scientifiques invoquées pour décrire des résultats d’études liées à l’école ou aux apprentissages »[2].

Les neurosciences : vers de nouvelles avancées en matière d’autisme

Certaines formations présentent également les neurosciences, comme une nouvelle méthode miracle, permettant d’aider les personnes autistes à progresser dans les apprentissages. Mais il s’agit d’un abus de langage puisqu’aucune recherche scientifique n’a été publiée dans ce sens. Il faut donc demeurer vigilant face à ces dérives et ce nouveau business du tout neuroscience.

Selon Nadia Chabane, directrice du Centre cantonal de l’autisme, à Lausanne,  les neurosciences sont utiles en matière d’autisme parce qu’elles pourraient apporter des réponses sur sa compréhension, et permettre de mieux le diagnostiquer. Ce qui engendrerait, selon elle : « des méthodes thérapeutiques, et de nouveaux traitements »[3].

En effet, de nombreux chercheurs, français, américains et israéliens, travaillent sur l’autisme et le cerveau, grâce aux techniques d’imagerie de pointe.

Certains d’entre eux émettent l’hypothèse d’un marqueur cérébral spécifique à l’autisme qui permettrait de dépister ces troubles de façon précoce, un pli situé dans l’aire de Broca. D’autres pensent que les déficits dans le traitement de l’information et la relation aux autres chez les personnes autistes proviennent, à la fois d’un défaut de connexions dites longue distance qui relient des neurones éloignés dans le cerveau, et d’une forte densité des connexions courte distance entre des zones cérébrales adjacentes »[4]. Mais une nouvelle étude menée par des chercheurs français (l’Inserm/Fondamental/NeuroSpin/APHP), et réalisée  sur des adultes, évoque plutôt un déficit de connexions courte distance. Comme l’explique le psychiatre Josselin Houenou, qui a dirigé de cette dernière étude : « Si cela se confirmait, cela se traduirait par le développement de nouvelles approches thérapeutiques comme la stimulation magnétique transcrânienne »[5]. 

En conclusion, les neurosciences ont en effet apporté un souffle à nos sociétés, à l’heure où la psychanalyse s’essouffle depuis plusieurs années. Des sociétés en manque de sens et d’espoir. Mais il faut se montrer prudent et considérer les neurosciences pour ce qu’elles sont, une science expérimentale. Il ne faudrait pas créer une illusion collective d’un monde qui serait meilleur grâce à la connaissance de notre seul cerveau, et tomber dans le scientisme. Il faut également se montrer prudent face aux dérives idéologiques et politiques qui peuvent déboucher à une certaine forme d’eugénisme mais aussi sur un marché frauduleux d’outils ou de méthodes pseudo-neuroscientifiques. Tomber dans une hégémonie psychanalytique était une erreur mais tomber dans celle des neurosciences en serait une autre. Toutes les approches sont nécessaires afin de mieux comprendre l’humain dans son unité. Et il serait néfaste pour le vivre ensemble et le mélange de toutes nos différences, de passer de l’homme social à l’homme neuronal[6], qui se suffirait à lui-même.            

Quatre questions à Franck Ramus, psycholinguiste, directeur de recherches au CNRS

Olivia Cattan : Vous faites partie du conseil scientifique de l’Education nationale, qu’est-ce que les neurosciences vont apporter à l’Ecole ?

Franck Ramus : Pas grand-chose. Les neurosciences parlent des bases cérébrales des apprentissages, mais les résultats pertinents pour les enseignants sont principalement issus de la psychologie et des sciences de l’éducation. C’est donc sur ces disciplines que s’appuie le conseil scientifique.

OC : Certains psychologues le disent mais selon vous, les méthodes cognitives et autres méthodes comportementales utilisent-elles les neurosciences et la plasticité du cerveau ?

FR : Non, les méthodes cognitives et comportementales sont basées sur la psychologie. On connaît certains mécanismes cérébraux qui sous-tendent leur action, c’est intéressant, mais l’argument principal en leur faveur est leur efficacité bien établie par des études expérimentales.

OC : N’avez-vous pas l’impression que tout le monde aujourd’hui vulgarise et utilise ce terme à tort et à travers, et qu’il y a aujourd’hui une dérive et un business regrettable qui se crée autour ?

FR : Les neurosciences sont un faire-valoir à la mode, mais ne sont pas au cœur du sujet. Leurs méthodes, leurs concepts et leurs images sont utilisés à tort et à travers pour asseoir une crédibilité, pour promouvoir certains messages, y compris des messages faux ou non prouvés. C’est ce que je nomme la « neurofoutaise ».

OC : Que dire à ceux qui réfutent les neurosciences ? 

FR : Se trouver un ennemi, réel ou imaginaire, est une manière d’exister, quand on n’a rien d’autre à faire valoir. C’est comme ça que j’interprète les réactions de psychanalystes comme Gérard Pommier. Si la psychanalyse était en mesure de communiquer sur ses contributions à la compréhension de l’humain ou sur son efficacité pour les troubles mentaux, elle n’aurait pas besoin de se mobiliser contre une discipline scientifique pour faire parler d’elle.

par Olivia Cattan

[1] http://www.neur-one.fr/DES%20NEUROSCIENCES%201.pdf

[2] file:///C:/Users/olivia/Downloads/École,%20neurosciences,%20neuro-éducation,%20neuropédagogie…%20%20Des%20neuro-illusions%20cognitives%20_%20-%20Editorial%20-%20E.%20Gentaz%20-%20ANAE%20N°147.pdf

[3] http://www.invivomagazine.com/fr/corpore_sano/decryptage/article/213/un-nouveau-regard-sur-l-autisme

[4] https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cerveau-et-psy/autisme-et-cerveau-remise-en-cause-de-la-theorie-dominante_129587

[5] Idem

[6] Alain Ehrenberg

 

Partager