« L’autisme en chiffres », entre extrapolation, mensonge et confusion  

En France, chaque année les associations parlent de 650 000-700 000 personnes autistes, de 20% d’enfants scolarisés et de 1% à 2% de personnes ayant accès à l’emploi. Ces chiffres sont-ils en dessous ou bien au-dessus de la réalité ? Décryptage par Sandra Karas et Olivia Cattan.

La stratégie nationale pour l’autisme présentée par Edouard Philippe et Sophie Cluzel se veut ambitieuse tant au niveau de ses objectifs que dans le budget qui lui est consacré. Mais sans données claires et précises, comment cibler efficacement les besoins ? Et surtout est-ce une somme suffisante ou dérisoire, compte tenu des 650 000 personnes autistes ?

Le quatrième plan autisme, doté de 344 millions d’euros répartis sur cinq ans, se concentre principalement sur l’établissement d’un diagnostic précoce et une scolarisation plus inclusive. Soit 68 millions par an. Ce qui peut paraître une somme importante.

Mais si nous ramenons ce chiffre au nombre de personnes autistes en France, soit 650 000 personnes (chiffre communément admis par le Ministère et les différentes associations), il n’y aurait que 105€ alloués à chaque autiste français par an. Soit juste le prix d’une séance d’une heure trente avec une psychologue ABA. Ce qui du coup paraît bien dérisoire…

Quant aux crédits destinés au dispositif d’emploi, le gouvernement a annoncé qu’ils seront doublés afin de faciliter l’insertion professionnelle des adultes autistes. Une mesure intéressante sur le papier, mais qui semble difficile à mettre en œuvre, dès lors qu’aucune statistique officielle sur l’emploi des personnes autistes n’est communiquée. Alors qu’il en existe pour les personnes atteintes d’handicap en général ! Pourtant, disposer de ces chiffres permettrait non seulement de prendre conscience des besoins mais aussi de cibler clairement les actions à mener afin de mobiliser les ressources nécessaires. Et il donnerait la possibilité d’améliorer la prise en charge afin de favoriser une meilleure inclusion.

L’école

L’unique voie pour se construire un avenir autonome passe d’abord par l’école. Or, selon les derniers chiffres communiqués par le gouvernement, il y aurait 36 000 élèves présentant des troubles du spectre de l’autisme. Soit   24 500 élèves dans le premier degré (13% de l’ensemble des élèves en situation de handicap), et 12 000 élèves dans le second degré (8% de l’ensemble des élèves en situation de handicap).

Le premier ministre, Edouard Philippe, s’est engagé, il y a un an, à scolariser en maternelle tous les enfants TSA pour les aider ensuite à suivre un parcours scolaire plus fluide et adapté à leurs besoins, de l’école élémentaire jusqu’à l’enseignement supérieur. Cela passe évidemment par un accompagnement spécifique et des personnels formés.

Le milieu professionnel

A l’heure actuelle, il est impossible de connaître la proportion d’autistes qui ont un emploi, ni les secteurs où ils travaillent et encore moins les conditions inhérentes aux postes occupés. Si le recensement des personnes autistes est compliqué, la Cour des Comptes avance qu’« environ 1 % de la population », soit 700.000 personnes sont touchées. Parmi elles, il y aurait 600.000 adultes, bien que ces derniers ne soient « qu’environ 75.000 » à être aujourd’hui diagnostiqués. Au niveau étatique, les établissements et services d’aide par le travail (ESAT) sont en capacité de prendre en charge les personnes autistes afin de les accompagner sur le chemin de l’emploi. Mais le manque de moyens ne permet pas d’assurer un suivi du travail. Dans le rapport sur l’emploi des personnes autistes qu’il a remis en 2017, à la secrétaire d’Etat en charge du handicap, Josef Schovanec, philosophe, et autiste Asperger, dresse une liste de métiers accessibles : informatique, traduction, rédaction, postes en liens avec la nature et les animaux, artisanat, mécanique, métiers des bibliothèques (« probablement le vœu professionnel le plus fréquemment exprimé par les personnes autistes »), restauration-hôtellerie… « Une clef de succès souvent rapportée dans les témoignages est la présence d’une personne de référence, laquelle peut être la seule interface de l’employé porteur d’autisme avec le reste du monde professionnel», précise Josef Schovanec. « Renforcer l’inclusion, de l’école à l’emploi, voici le cœur de ce que nous voulons faire pour l’autisme » avait déclaré le chef de l’Etat au cours de l’un de ses déplacements, l’an dernier à Rouen. Il s’agirait à présent de passer véritablement à l’action.

Une multiplication de chiffres qui crée la confusion

1 enfant sur 100 serait touché par un trouble du spectre autistique

700 000 personnes seraient reconnues comme TSA en France dont 100 000 qui ont moins de 20 ans. Pourtant la Cour des Comptes parle de 75 000 personnes diagnostiquées.

Les TSA toucheraient 3 garçons pour 1 fille

Une personne TSA sur deux présenterait aussi une déficience intellectuelle avec un Q.I. inférieur à 70.

62 % des enfants atteints d’autisme en France ne seraient pas scolarisés. Pourtant le Ministère de l’éducation nationale parle de 36 000 élèves présentant des troubles du spectre de l’autisme. Soit  24 500 élèves dans le premier degré (13% de l’ensemble des élèves en situation de handicap), et  12 000 élèves dans le second degré (8% de l’ensemble des élèves en situation de handicap). Soit 11% des élèves en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire.

Des chiffres confus qui donnent le tournis, et qui rappellent le comptage des manifestants lors des grèves lorsqu’ils sont donnés « selon la police » ou « selon les associations ».

D’autres chiffres bien réels

Lorsque l’on parle d’autisme, d’autres chiffres sont souvent évoqués, des dépenses bien réelles puisqu’en France, une famille doit supporter un poids financier mensuel de 1500€ à 3000€ par enfant TSA pour une bonne prise en charge (psychologues, psychomotriciens, ergothérapeute, AVS privés et formés).

L’AAH (allocation aux adultes handicapés) est passée à 860 euros début novembre 2018 et sera portée à 900 euros à partir en novembre 2019.

Seuls 18% des enseignants déclarent que le meilleur environnement d’accueil est une classe ordinaire (selon un sondage effectué par Opinion Way en 2011). Ce qui est un coup de canif dans l’inclusion à la française que tente de mener le gouvernement.

Enfin, 37 % des Français pensent, à tort, que l’autisme est un trouble psychologique (étude Opinion Way, 2012). Ce qui préfigure une méconnaissance totale de ce syndrome qui risque de donner lieu à un grand nombre de clichés, et de préjugés accompagnés de son lot de discriminations.

Les données contradictoires de l’autisme en France montrent-ils une réelle volonté politique de ne pas communiquer les chiffres officiels de l’autisme parce qu’ils sont au-delà de ceux annoncés ? A moins que le gouvernement et ses instances ne soient que des amateurs, incapables d’évaluer et de recouper les différentes données.

Mais comptabiliser des personnes par leur handicap spécifique ne serait-il pas discriminatoire ?

Pourtant des chiffres précis permettraient de savoir s’il y a réellement une « épidémie d’autisme » comme certains savants fous le déclarent ? Cela permettrait peut-être de mieux prendre en charge les personnes autistes dans leur ensemble, tant en besoins humains qu’en nombre de places à l’école ou dans des filières d’apprentissage.

A moins que tous ces chiffres ne soient pas si importants que ça, le principal étant de créer tous ensemble une société inclusive qui ne compte pas les différences de chacun mais qui les additionnent en richesses.

Parce que comme le disait Albert Einstein : « Ce qui compte ne peut pas toujours être compté, et ce qui peut être compté ne compte pas forcément ».

 

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