De l’assiette au sommeil

Chaque famille confrontée à l’autisme sait combien le temps des repas et les nuits sont des rendez-vous compliqués. Le décryptage de ces mécanismes peut aboutir à une meilleure prise en charge et améliorer le quotidien.

Les personnes autistes ont une façon bien particulière de réagir aux stimuli et aux informations. Ainsi, leur rapport à la nourriture est particulièrement complexe. Au moment des repas, les cinq sens sont en éveil, et de façon exacerbée chez les enfants différents : autistes, précoces, TDAH… Ils sont particulièrement sensibles aux textures, aux odeurs, aux goûts… Cette hypersensibilité sensorielle révèle des attitudes qui peuvent se traduire par des blocages.

Hypersensibilité et hyperréalisme

Certains refusent que des aliments cohabitent dans la même assiette, ou ne peuvent avaler un fruit s’ils y décèlent une tache ou une quelconque anomalie… Chez d’autres, l’odorat est particulièrement développé et conduit à un rejet des repas chauds, par exemple. Les changements d’état sont généralement éprouvants. Ainsi, la mastication apporte d’autres stimuli : l’aliment n’a plus la même consistance ou texture, le bruit intervient… Le traitement de ces nouvelles informations génère du stress. Il a, par ailleurs, été constaté chez les enfants TSA, quelques faiblesses motrices et musculaires principalement dans la zone orale, ce qui accroît la difficulté de mâcher ou de déglutir et peut rendre le repas pénible physiquement. Ce qui peut être amélioré et travaillé avec une orthophoniste ou certaines psychomotriciennes spécialisées.

Doucement mais sûrement

Pour éviter que ces trois rendez-vous quotidiens avec l’assiette virent à la foire d’empoigne, les parents ou accompagnants ont tendance à servir à leur enfant les deux ou trois menus auxquels ils sont habitués, sans diversifier. Le risque est d’être, à terme, confronté à une rigidité alimentaire de laquelle il est encore plus difficile de s’extraire, et d’arriver parfois à des carences alimentaires qui mettent en danger leur santé. Or, les exposer à de nouveaux goûts, odeurs, ou textures, les conduit justement à progresser. Le tout est de procéder en douceur : commencer par lui faire tolérer un aliment dans l’assiette même s’il ne le mange pas dans un premier temps, puis l’inciter à le toucher avec sa fourchette et, avec de la patience, parvenir à lui faire goûter. L’enjeu principal est d’ôter tout facteur de stress au moment de passer à table (temps calme avant, conserver des rituels, assiette et couverts identiques d’un repas à l’autre…) et d’accompagner l’enfant dans la découverte de la nouveauté. Discerner ce qui est anxiogène permet de retirer du champ sensoriel l’aliment incriminé et diminuer la pression.

Sous quel régime ?

Carences nutritionnelles, anorexie, constipation, obésité… sont des troubles auxquels les TSA sont fréquemment exposés. Des visites régulières chez le médecin permettent, dans un premier temps, de noter s’il y a lieu, les dysfonctionnements physiologiques et de déceler les carences nutritionnelles en vitamines, minéraux, fer ou calcium. Pour remédier à ces troubles alimentaires, des régimes « à la mode » tentent de s’inviter au registre des solutions miracles. Comme chez les people, le « sans gluten », le « sans caséine » ou encore le « sans lactose » se sont, un temps, positionnés comme la réponse à tous les maux. Si ces « régimes » ont indéniablement offert des pistes de réflexion, aucune étude scientifique sérieuse n’a pu affirmer qu’ils avaient démontré une évidente efficacité. Au mieux, peut-on avancer que les enfants autistes présentent une plus grande sensibilité au gluten.

Du trouble alimentaire aux troubles du sommeil

Comme chez n’importe quel enfant, les carences alimentaires peuvent venir impacter la qualité du sommeil. Et un manque de sommeil ou un sommeil fragmenté affectent les capacités cognitives, celles qui favorisent la concentration et les apprentissages. Cela accentue les troubles du comportements (agressivité, irritabilité, impulsivité), ainsi que la socialisation… Il a néanmoins été observé que les troubles du sommeil sont régulièrement liés à une anomalie de la sécrétion de la mélatonine, cette hormone produite naturellement par l’organisme et qui régule les rythmes biologiques.

Mise en condition

Le Dr Diane Weick, médecin généraliste, attachée au service d’explorations fonctionnelles de l’épilepsie et du sommeil de l’enfant à l’hôpital femme mère-enfant de Lyon, apporte son éclairage : « Une fois qu’on a éliminé les problèmes organiques (douleurs, reflux, apnée…), la première chose que l’on note sont les problèmes de conditionnement. Il faut passer en revue chaque étape avant la mise au lit, comprendre ce qui peut venir perturber l’enfant pour lui offrir un cadre calme et rassurant. Le but étant de l’amener progressivement à s’endormir seul de manière à ce  qu’il puisse se rendormir seul en cas de réveil nocturne. Je demande aux parents de quitter la chambre parce que si leur petit se réveille en pleine nuit et qu’il ne retrouve pas son papa ou sa maman à ses côtés, c’est comme si on l’avait changé de chambre. Il éprouvera alors de grandes difficultés à se rendormir. Et puis, deux heures avant le coucher, éviter les écrans parce que la lumière bleue qu’ils diffusent vient inhiber la sécrétion de la mélatonine du cerveau ».

Les bons outils

50 à 80% des enfants autistes souffrent de troubles du sommeil. Ils peuvent manifester de l’agitation, voire de l’anxiété, quand il s’agit d’aller se coucher. Tout comme pour l’alimentation, l’hypersensibilité sensorielle joue un rôle crucial. La texture des draps, leur poids, l’odeur de la lessive, la lumière de la chambre, les changements des rituels du coucher… sont autant de facteurs susceptibles de perturber l’endormissement. Lors de ses consultations, le Dr Weick s’appuie sur des outils simples comme par exemple, des pictogrammes sur lesquels sont dessinés des bonhommes couchés ou debout. « La plupart des enfants autistes ont du mal à différencier le jour de la nuit. En se référant aux images, l’enfant sait lorsqu’il se réveille, s’il peut se lever ou pas. Je me sers aussi d’un Timer pour l’aider à prendre conscience du temps. »

Et la mélatonine alors ?

Souvent au bord de l’épuisement, les parents se tournent vers la solution médicamenteuse mais son recours n’est pas systématique. Il existe une autre solution plus naturelle comme la véritable mélatonine, qui demande une préparation particulière à la pharmacie. Appelée hormone du sommeil, elle peut faciliter l’endormissement et surtout elle ne s’accompagne pas de phénomène d’accoutumance. Le Dr Diane Weick ne repousse pas cette alternative : « Je le prescris dans certains cas mais à faible dose (en général maximum 2 mg ). Quand la situation est stabilisée, j’essaie de réduire progressivement, le but étant quand même de pouvoir s’en passer. »

Certains parents expliquent également qu’il a fallu à la fois donner à leurs enfants de la mélatonine mais également changer leurs habitudes. Laure, maman d’un adolescent autiste témoigne : « Auparavant mon fils avait un goûter à base de Nutella. Il buvait du coca au dîner et mangeait un plat de pâtes. Alors afin de ne pas lui enlever ses plaisirs, j’ai mis le Nutella le matin au petit-déjeuner, arrêté le coca, et allégé son dîner. Nous éteignons également la télévision 30 mn avant le coucher, et nous baissons les lumières en essayant d’instaurer un temps calme fait de silence et de câlins ».

Lydia, quant à elle, a décidé de se former à l’hypnose Ericksonienne pour accompagner l’endormissement de sa fille précoce et hyperactive de 10 ans  : « L’hypnose est un outil dont on ne se sert pas assez pour nos enfants différents. Je me suis formée afin d’aider ma fille. Et cela m’a permis non seulement de la coucher plus tôt. Mais cela a aussi amélioré sa qualité de sommeil et de réveil ».

Chaque enfant est différent et nécessite que les médecins, avec l’aide des parents, réfléchissent à un programme personnalisé tant en matière d’alimentation qu’en matière de sommeil. Il faut à la fois veiller à ce que l’enfant ne développe pas de carences mais aussi respecter ses goûts. Concernant le sommeil, il est important de coucher son enfant tous les jours à la même heure, et de le lever tous les jours à une heure similaire afin de reprogrammer son horloge biologique.

Malheureusement, en France, il n’existe que trop peu d’études sur les troubles alimentaires et les troubles du sommeil que rencontrent un grand nombre de personnes autistes, dys, précoces, hyperactives… Certains Centres de sommeil ou médecins spécialisés en nutrition ou troubles du sommeil refusent même de recevoir ces enfants, expliquant aux familles que cela ne rentre pas dans leur champ de compétences. Il est donc peut-être temps de mettre en lumière ces sujets de santé publique afin de venir en aide à ces milliers de familles d’enfants différents.

Par Sandra Karas

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