Tennis et handicap : Le coup gagnant

Comme le confirment toutes les études épidémiologiques modernes, le sport est un outil de santé publique qui permet de lutter de façon préventive contre de nombreuses maladies. Pour les personnes en situation de handicap,  le sport représente un outil thérapeutique de bien-être et de progression, et une clé essentielle d’intégration.

Le sport agit dans plusieurs domaines : la motricité, la force musculaire, l’endurance et la coordination. Pour les personnes autistes, il diminue l’hyperactivité et les troubles du comportement, agissant également sur les différentes manifestations d’hypersensibilité sensorielle (meilleure tolérance au toucher, au bruit, à la forte luminosité), il réduit leur stress et leur anxiété grâce à l’augmentation de la sécrétion d’endorphines. Ce qui permet aussi d’agir sur les troubles du sommeil. Et comme les personnes autistes fonctionnent par imitation, le sport constitue une base infinie de progression.

De façon générale, le sport favorise la communication et l’intégration dans un groupe, en leur apprenant à interagir avec les autres. Enfin, le cadre routinier d’un cours de sport permet d’acquérir une discipline et une flexibilité intellectuelle face aux règles communes imposées.

Il est important évidemment de créer un programme adapté à chacun, tout en  respectant ses capacités physiques sans oublier de respecter aussi ses préférences pour un sport ou un autre.

Même si cela demande une attention particulière et un accompagnement spécialisé, les personnes en situation de handicap ont besoin, comme nous tous, de se détendre physiquement et psychologiquement, de se défouler afin de diminuer le stress et les angoisses quotidiennes.

Et il ne faut pas oublier non plus que le sport reste aussi une façon d’avoir une meilleure perception de soi-même et d’être valorisé aux yeux des autres.

Aujourd’hui deux fédérations se partagent les handicaps : la Fédération Handisport regroupe tous les handicaps physiques, moteurs ou sensoriels. La Fédération de sport adapté gère les handicaps mentaux, intellectuels et psychiques. Mais là encore, l’autisme, qui est un syndrome neuro-développemental, et qui n’appartient véritablement à aucune de ces catégories se retrouve lésé. Quelques clubs sportifs accueillent des personnes autistes mais pas assez. Tout simplement parce qu’ils ne savent pas comment les accueillir au mieux. Voilà pourquoi Sos autisme France a signé des conventions avec chaque fédération sportive afin de sensibiliser les ligues et les clubs et leur fournir les outils adéquats. L’association a créé pour cela le guide « Autisport » pour qu’enfin les personnes autistes puissent avoir accès à tous les sports sans discrimination.

Le Magazine de la différence est allé à la rencontre de deux personnes autistes, Anaïs et Benjamin, deux athlètes hors norme.

                                     « Anaïs : j’aime jouer pour gagner »

Anaïs est différente mais cela ne l’a pas empêchée de devenir aujourd’hui une athlète accomplie. Après avoir remporté plusieurs compétions de tennis, cette jeune fille continue sa progression dans ce sport avec l’esprit d’une gagnante. Portrait d’une jeune femme atypique et ambitieuse.

Anaïs joue au tennis depuis l’âge de 5 ans avec son père, ancien joueur de club classé deuxième série, dans un club du Vésinet. Anaïs est autiste et présente des difficultés cognitives et de communication. Malgré ses capacités intellectuelles, elle se fait exclure de l’école après deux semaines seulement de maternelle. Mais sa famille croit en elle et cherche des moyens de la faire progresser.

Son père continue de l’entraîner au tennis et remarque qu’Anaïs n’a aucun problème de coordination et qu’elle est particulièrement douée. Mais il se rend surtout compte qu’elle possède une grande capacité de concentration lorsqu’elle arrive sur le court.

« Lorsqu’elle joue au tennis, explique sa mère, c’est une autre jeune femme. Elle arrive non seulement à se concentrer mais elle parvient aussi à établir avec les autres, une autre forme de communication grâce à son regard, ses expressions, son énergie. Mais elle ne se contente pas juste de jouer au tennis, ce qu’elle veut c’est gagner chaque point et battre son adversaire ».

Alors conscient des bienfaits du tennis sur l’évolution de sa fille mais aussi de ses compétences, son père l’a entraîné chaque semaine régulièrement pendant douze ans. Le seul problème était qu’Anaïs jouait uniquement dans le carré de services et sur le côté droit du cours.

Adolescente, Anaïs est admise dans un IME spécialisé. Un centre qui a un partenariat avec un club de tennis du quartier. Elle joue régulièrement dans ce club, et alors qu’elle a 17 ans, un des professeurs s’intéresse à elle, remarquant ses capacités tennistiques exceptionnelles. Anaïs fait évoluer progressivement son jeu tout en intégrant les règles. Et accepte enfin de jouer des deux côtés du court. Afin de lui prouver ses capacités, ses parents l’inscrivent au championnat de France de tennis adapté de Grenoble en 2014. Un championnat qu’elle remporte en division 2, à la surprise de tous. Son père continue alors de l’entraîner en tant que joueuse professionnelle, secondé par d’autres professeurs de tennis.

Classée 30/3, Anaïs va devenir championne de France à deux reprises en division 1, et remporter la médaille de bronze aux Jeux Européens. Elle finit cinquième des jeux mondiaux et gagne l’Open de Rouen en 2016 et en 2017.

Lors de la dernière édition de l’Open de Rouen 2018, Anaïs gagne la finale en lever de rideau du match des pros remporté par Gilles Simon. Mais aujourd’hui, Anaïs en veut davantage et s’est fixée un nouvel objectif : monter sur le podium des prochains jeux mondiaux.

A côté de ces compétitions, Anaïs a beaucoup progressé dans ses apprentissages comme dans sa communication. Elle participe à des tournois de démonstration afin de prouver que l’on peut être différent et devenir un joueur de tennis pro. Elle est l’une des ambassadrices de SOS autisme France, et donne des cours de tennis à des personnes en situation de handicap.

Elle s’intéresse à beaucoup de choses, notamment à l’archéologie, la nature et aux animaux avec lesquels elle a un contact particulier qui l’apaise beaucoup. Elle suit également des ateliers de chant et de théâtre.

Anaïs fait partie de ces milliers d’enfants autistes que la société française a exclus. Une exclusion qui ne l’a pourtant pas empêchée d’évoluer et de devenir une athlète de bon niveau et une jeune femme accomplie. Mais la réussite de son parcours d’exception est le fruit du combat de ses parents, associés à des professeurs de tennis, qui ont cru en elle. Même si les choses ont évolué ces dernières années, la France a encore des difficultés à croire au potentiel des personnes différentes. Pourtant à l’étranger, notamment en Australie, les meilleurs joueurs de tennis adapté sont autistes comme Archie Graham, dont le niveau de jeu est proche du milieu de deuxième série.

« Benjamin : Je suivrai les traces de Gaël Monfils »

L’avenir de Benjamin en hôpital de jour était tout tracé, pourtant un match de tennis avec Gaël Monfils va tout changer dans la vie de cet adolescent, le conduisant à devenir un athlète confirmé. Portrait d’un jeune homme obstiné et engagé contre les discriminations.

Benjamin, né en 1996, se développe normalement jusqu’à ses 15 mois où il régresse brutalement. Les pédopsychiatres annoncent qu’il est atteint d’une psychose infantile et que sa place est en hôpital de jour. Leur pronostic d’évolution est très pessimiste. Et ses parents, désespérés, se disent qu’il ne sortira jamais du milieu psychiatrique. Benjamin reste deux ans dans cet hôpital de jour où il ne progresse pas. Sa mère décide alors de le retirer de là-bas contre l’avis médical, réfutant à la fois la valeur du diagnostic, son immuabilité, et sa prise en charge.

Elle fait appel à des psychologues formées en méthodes comportementales et l’inscrit à l’école. Les premiers progrès de Benjamin arrivent mais il a tout de même encore de grandes difficultés cognitives. Un jour de juin 2008, Benjamin tombe par hasard à la télévision sur le quart de finale de Gaël Monfils à Roland Garros. Il nourrit alors, à partir de ce moment-là, un intérêt restreint pour ce sport et ce joueur. Il visionne inlassablement tous ses matchs, mémorisant chaque point. Consciente de cette passion constante, elle l’inscrit un an après dans un club de tennis. Mais ses débuts sont difficiles. Le professeur lui dit qu’il est inapte. Benjamin a des troubles de la coordination motrice et de l’attention. Il est lent, raide, maladroit et ne comprend pas toujours les consignes. Mais Benjamin veut continuer et s’entête. Il regarde les autres enfants jouer et fonctionne par imitation. Il s’entraîne plus que les autres, réussissant à reproduire les gestes qu’il a mémorisés. Ses progrès s’accélèrent et surprennent son professeur qui s’investit pleinement à ses côtés. Il commence la compétition en 2011 alors qu’il n’a aucune notion du fonctionnement d’un tournoi. Il n’a qu’un objectif : faire comme Gaël Monfils. Et c’est peut-être justement parce qu’il n’a aucune pression, qu’il remporte ses matchs. Il prend neuf classements FFT en 18 mois, et commence à se voir attribuer le surnom de « Gaël » ou encore « le mur ». Puis il atteint peu à peu et  régulièrement les phases finales des tournois jeunes. Il en gagne deux en cadet et un en junior.

En 2012, grâce à la pratique du tennis, Benjamin a progressé de façon spectaculaire sur les plans cognitifs, comportementaux et sociaux. Sa mère, soutenue par ses professeurs, décide de mettre en place un projet personnalisé de scolarisation basé sur le modèle d’un sport-études. Ce programme novateur est créé spécifiquement pour lui. Son moniteur pense, en effet, pouvoir le former à enseigner en école de tennis. Benjamin, doué pour la pédagogie, commence à enseigner le tennis, et se présente avec succès à l’examen d’Assistant Moniteur en 2014. Il enseigne pendant deux ans et se perfectionne lors de ses deux années de stage, toujours dans le cadre de son PPS (programme personnalisé de scolarisation). Enfin, il est engagé par son Club en contrat emploi d’avenir en juin 2017. Mais il continue à faire des tournois et atteint le classement de 15/1. Malheureusement son passage en catégorie sénior le met en difficulté. Son attitude atypique est mal perçue, moquée ou même utilisée contre lui par ses adversaires. Et Benjamin, qui est hypersensible, se referme. Il traverse alors une période de grand découragement. Il prend conscience de sa différence et du regard des autres. Pourtant cette prise de conscience va le faire évoluer. Il décide de travailler sur l’apprentissage des codes sociaux et redouble d’efforts afin de masquer ses comportements autistiques en public. Il décide alors de mener son propre combat contre la discrimination qu’il vit comme une terrible injustice.

Il envisage de s’illustrer dans une catégorie handisport, afin que son parcours et ses performances soient reconnus et puissent servir d’exemple à d’autres. Il rejoint les rangs de la Fédération Française de Sport Adapté et remporte le Championnat de France de Tennis en 2017. Ce titre lui vaut sa qualification en Equipe de France et lui ouvre les portes de la compétition internationale où il fait ses débuts, en se classant au treizième rang mondial. Puis il décide parallèlement de se consacrer à l’enseignement du tennis auprès d’un jeune public en situation de handicap. Un projet, devenu réalité, et qui rencontre aujourd’hui un enthousiasme grandissant. Sa famille qui ne l’a jamais lâché continue de le soutenir. Tout comme son moniteur. Et comme sa mère le dit : « Alors qu’il était considéré comme un autiste sévère sans espoir d’avenir, c’est peut-être lui aujourd’hui qui est en mesure d’aider d’autres enfants différents à progresser parce qu’il sait mieux que personne que tout est possible lorsque l’on croit en eux. Et pour mon fils, c’est une sacrée revanche sur la vie ».

Par Olivia Cattan

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