La loi pour l’égalité des chances non respectée
Le nombre de demandeurs d’emploi est très élevé chez les personnes « différentes », dépassant la barre des 500 000 personnes. Selon la loi pour l’égalité des chances de 2005, tout employeur occupant au moins 20 salariés est tenu d’employer à plein temps ou à temps partiel des travailleurs handicapés dans une proportion de 6 % de l’effectif total de l’entreprise. Les établissements ne remplissant pas cette obligation doivent s’acquitter d’une contribution au fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées auprès de l’Agefiph. Malgré cette obligation, certains employeurs avouent « préférer payer que de se soustraire à la loi ». Lorsqu’ils le font, ils avouent « choisir plutôt des personnes en fauteuil ayant eu un accident de la vie que des personnes ayant un handicap de naissance ». La peur de mal faire ou de manquer de savoir-faire, de ne pas être accompagné dans cette démarche sont les raisons évoquées. Les autistes font partie de ces personnes différentes qui ont de nombreuses difficultés à trouver un emploi. En France, moins de 2 % des personnes autistes travaillent, contrairement à d’autres pays (Etats-Unis, Nouvelle Zélande…) où elles sont recherchées pour leurs compétences spécifiques.
La France à la traîne par rapport aux pays anglo-saxons
Leur accès limité à la scolarisation est la cause principale de cet échec. Pourtant dans de nombreux pays, l’insertion professionnelle des personnes autistes est en marche depuis des décennies dans de grandes multinationales (Microsoft, Google, l’Oréal…). Leurs compétences spécifiques sont une valeur ajoutée aux yeux des entreprises qui les emploient. Des compétences liées à leur mémoire, leur hypersensibilité sensorielle, et leur sens de l’observation et des procédures… Les personnes autistes excellent dans de nombreux domaines comme l’informatique, la traduction, la comptabilité, la parfumerie et la gastronomie… Les métiers liés à la nature et aux animaux sont aussi des pistes d’emploi qui leur offrent beaucoup de possibilités, et qui permettent d’aménager leur temps de travail, en leur offrant un espace moins stressant et confiné qu’un bureau.
Dans les pays anglo-saxons, des chasseurs de tête recherchent des personnes autistes pour des postes hautement techniques. Aujourd’hui, ceux qui travaillent sont des Asperger en grande majorité. Mais cela se fait sous l’impulsion d’associations ou d’entreprises, ou encore des familles. Certains parents se sont investis auprès de leurs enfants afin de leur garantir un avenir professionnel pour davantage d’autonomie. Ils ont créé des emplois « sur mesure » selon leurs compétences et leurs talents. Romain Brifault fait partie de ceux-là.
« Romain Brifault, le petit prince de la mode »
Romain a 24 ans. Ce petit prince de notre époque, véritable électron libre, a traversé beaucoup d’épreuves afin d’atteindre son rêve, être styliste. Diagnostiqué autiste Asperger à 8 ans, il a poursuivi ses études jusqu’à l’obtention d’un bac pro « métiers de la mode et du vêtement » au lycée la Providence de Rouen, malgré de nombreuses difficultés scolaires. Déscolarisé en CP, il a réussi à réintégrer l’école et rattraper son retard en quelques mois. En 2013, soutenu par sa famille, Romain décide de créer sa maison de couture ainsi que sa première collection qu’il présente dans le cadre prestigieux de l’Hôtel de Bourgtheroulde à Rouen.
Il travaille aux côtés de sa mère, de son grand-père et de son frère Alexandre qui s’occupe du management de l’entreprise. Romain a non seulement un esprit novateur en matière de stylisme mais aussi le désir de faire « une mode humaniste ». Alors il dessine chaque modèle en associant sa créativité à son engagement pour la différence. Il crée un modèle unique, une robe de mariée pour les femmes en fauteuil roulant. Un modèle dont il dépose le brevet et qui sera fortement remarqué dans le milieu de la mode. Son objectif est de permettre à chaque femme, quelle que soit sa différence et sa morphologie, d’avoir accès à la mode et à la beauté. En 2018, il lance le mouvement « Pour une Mode Sans Différences ». Puis il lance un concept innovant : « Des vêtements sur mesure qui s’adaptent à toutes les morphologies mais surtout sans essayage ». La Fondation Orange s’intéresse alors à lui et il reçoit, dans le cadre de son dispositif « coup de pouce », la somme de 15 000 €.
« Mon ambition c’est de ne pas faire de différence. Trop souvent, on met les handicapés d’un côté et les valides de l’autre. Toutes les femmes ont le droit d’être belles » dit-il.
Après avoir souffert du regard des autres, la mode est devenue une façon pour Romain de de s’épanouir et de se servir de sa différence afin d’en faire une force. Romain est aujourd’hui un styliste qui s’est affirmé dans son style et dans ses engagements militants. Il nourrit de grandes ambitions, comme celle de partir à l’étranger afin de faire découvrir ses modèles et de participer à la Fashion Week : « Mais ce rêve ne se réalisera pas sans la présence de mannequins en fauteuil qui font partie intégrante de ma ligne de vêtements », affirme-t-il d’un ton décidé.
C’est dans le but de faire connaître ses créations en tant qu’autiste Asperger que Romain a écrit un livre « Ma différence est ma force » qui retrace son parcours. Un ouvrage émouvant, écrit à quatre mains, qui permettra peut-être d’ouvrir le monde de l’emploi à d’autres personnes en situation de handicap.
Par Olivia Cattan