Handicap : La Militance du désespoir

Montée des grues, rassemblements, pétitions, grèves de la faim, cette année comme l’année précédente, des familles désespérées ont décidé d’utiliser des moyens extrêmes pour se faire entendre du gouvernement et faire valoir le droit de leurs enfants. Pour la plupart de ces actions coup de poing, ce sont des femmes, des mères qui se sont retrouvées en première ligne. Bilan d’une nouvelle rentrée des classes ratée pour des milliers d’enfants handicapés qui conduit ces parents à une nouvelle forme de militance, celle du désespoir.

Les rentrées des classes se succèdent et se ressemblent pour les enfants en situation de handicap. Le ministère de l’Éducation nationale parle de 300.000 élèves accueillis à l’école, des chiffres officiels bien loin de la réalité du terrain. Les associations dénoncent les 5000 Auxiliaires de Vie Scolaire manquantes. Et cette année encore, il n’y aurait eu que 20% d’enfants autistes ayant fait leur rentrée en primaire ! Les familles se sont donc mobilisées pour se faire entendre.

Monter sur une grue ou entamer une grève de la faim semble être la nouvelle forme de revendication populaire, et surtout un nouvel outil politique afin de faire pression sur le gouvernement. Il faut dire que la situation des personnes en situation  de handicap en France est au point mort, malgré de nombreuses promesses faites par le candidat Macron et son épouse. Des promesses qui, selon les associations, n’ont pas été suivies d’actions concrètes et efficaces pour les familles. Alors les parents sont en colère et risquent tout pour faire valoir le droit de leur enfant, parfois même au prix de leurs vies.

En cette rentrée, tout va de travers, le numéro d’urgence de la cellule gouvernementale « Aide Handicap Ecole » ne répond pas, et  les dossiers s’accumulent au sein des associations : manque d’Auxiliaires de Vie Scolaire et de personnels formés, fins de contrats non reconduits, manque de prise en charge adaptée, manque de places en IME, manque de contrôle des centres d’accueil spécialisés, prises en charge en libéral non remboursées par la sécurité sociale avec de rares spécialistes aux tarifs exorbitants que seule une poignée de parents peut s’offrir…

Un manque de tout qui débouche sur la colère, le désespoir, l’isolement, la précarité des parents qui sont à bout, sans solution ni répit possible.

Alors c’est l’escalade : « J’ai parfois pensé au suicide parce que je suis fatiguée de me battre pour tout » explique Christine, maman d’un adulte handicapé. « J’ai déménagé pour avoir une place pour mon fils dans un centre adapté. Malheureusement ce lieu a fermé, faute de moyens. Alors il a fallu encore batailler pour trouver autre chose.  Je n’ai trouvé aucune filière qui permette à mon fils Louis de se former à un métier. Et on m’a expliqué qu’il fallait attendre deux ans pour espérer une place dans un simple centre d’accueil pour adultes. Même l’emmener chez le dentiste a été un parcours du combattant. Avoir un professionnel qui accepte de le soigner sans sédation, c’est mission impossible. Et ne me parlez pas des soi-disant réseaux existants ou de l’hôpital ! Rien n’est fait pour prendre en charge et soigner nos gamins handicapés. Alors quand je baisse les bras, je pense au suicide et quand je vais mieux, je me demande si je ne vais pas moi aussi monter sur une grue pour me faire entendre ».

Estelle, maman d’un jeune garçon autiste, était montée sur une grue, il y a déjà quelques années, parce que son fils n’allait plus à l’école, faute d’AVS. Grâce à son action médiatisée, elle avait obtenu gain de cause auprès du Rectorat dans la journée. Aujourd’hui encore, Estelle reconnaît que son acte était dangereux mais qu’elle n’avait pas eu d’autre choix : « La goutte d’eau qui avait fait déborder le vase, c’est lorsque j’avais appris  que le contrat de l’Auxiliaire de Vie Scolaire de mon fils allait prendre fin sans être reconduit deux mois avant la fin de l’année scolaire. J’ai eu beau appeler le Rectorat, le Ministère de l’Education nationale…On me répondait qu’il n’y aurait pas d’AVS pour Allan. Alors j’ai pris la décision de médiatiser mon combat pour forcer les autorités à réagir en montant en haut d’une grue. Et le meilleur dans tout ça, c’est lorsque j’ai contacté une association féministe pour demander de l’aide en tant que mère célibataire, ils m’ont conseillé eux-mêmes de monter sur une grue et d’alerter les médias. Ils avaient, semblent-ils, conscience eux aussi que c’était le seul moyen de se faire entendre aujourd’hui ».

L’acte de monter sur une grue ou celui d’entamer une grève de la faim ne scandalise et n’étonne plus personne. Il faut bien reconnaître que le système de protection des personnes les plus fragiles est en panne en France depuis plusieurs années Alors ces opérations du désespoir semblent avoir été normalisées dans la conscience collective. Sur les réseaux sociaux, certains groupes fournissent même une sorte de mode d’emploi du militantisme actuel : « Pour obtenir de l’aide du Ministère du handicap, il faut faire du sensationnel pour que les médias s’intéressent à vous ».

Un collectif citoyen controversé s’est même spécialisé dans cette forme de revendications : montée des grues, rassemblements dans plusieurs villes de France de Lille à Strasbourg, actions coup de poing en tout genre. Rien ne semble effrayer ses deux fondateurs Meryem et Jean-Louis Duval, eux-mêmes parents d’enfants autistes : « La responsabilité de cette mise en danger des familles est celle de l’Etat français, et de ceux qui nous gouvernent. Pas la nôtre. Ce sont eux qui ont déserté le champ du handicap ! » explique Meryem Duval. « C’est facile de tout nous mettre sur le dos en disant que nous instrumentalisons et faisons prendre des risques aux familles d’enfants handicapés. Nous n’allons chercher personne, ce sont les parents qui nous sollicitent afin que nous les aidions à organiser ces opérations médiatiques. Dans la plupart des cas, nous leur conseillons de ne pas le faire tout de suite. Nous prenons en charge leur dossier tout d’abord en l’envoyant aux administrations compétentes. Mais lorsqu’il n’y a pas de réponse et que la situation de leur enfant est urgente, nous sommes bien obligés d’agir en conséquence. Alors nous les accompagnons au mieux afin qu’ils ne se mettent pas en danger. Parfois c’est même  moi qui monte sur la grue afin de porter la revendication de parents trop fragiles. Il a fallu que je prenne des cours d’escalade pour prendre le moins de risques possibles. Un de nos bénévoles, qui est grutier, nous accompagne sur place avec les accessoires nécessaires afin que rien ne soit laissé au hasard. Il n’y a que ça à faire pour faire sortir les politiques du bois et obtenir des résultats immédiats. Et à ceux qui nous critiquent, je leur répond que je préfère voir ces parents sur des grues que d’apprendre leur suicide ».

Evidemment, ces opérations coup de poing ne sont pas du goût de tout le monde. Elles sont jugées dangereuses, et aussi mises en scène médiatiquement et « manipulées par des partis politiques d’extrême gauche ». La secrétaire d’Etat chargée du handicap, Sophie Cluzel, a réagi dans différents médias, expliquant que « Ce n’était pas en montant en haut des grues que les problèmes seraient résolus mais en dialoguant avec l’Education nationale, assurant que la cellule Aide Handicap Ecole réglait 80% des cas d’enfants sans AVS dans les 48 heures ».

Mais malgré ces affirmations,  ce numéro est toujours occupé. Et lorsque les parents arrivent à avoir un interlocuteur au bout de plusieurs jours, les solutions ne sont pas immédiates. Plusieurs vidéos attestant de cet état de fait ont été postées d’ailleurs sur les réseaux sociaux.

Après le phénomène des grues, la grève de la faim est devenue également un nouvel outil de communication pour les plus démunis. Des mères, des pères mais aussi des sœurs et des frères de personnes en situation de handicap ont décidé de faire une grève de la faim pour alerter les pouvoirs publics sur la situation de leurs proches. Ils sont de plus en plus nombreux à le faire. Ils accompagnent cela de pétitions ou de  vidéos postées sur les réseaux sociaux. Certains d’entre eux sont soutenus par des associations, d’autres par des collectifs qui organisent des occupations dans des lieux symboliques tout en menant une campagne médiatique.

Jacqueline est l’une de ces mamans : « J’ai décidé de commencer ma grève de la faim toute seule parce je ne savais plus quoi faire. La MDPH avait arbitrairement baissé l’allocation d’éducation (AEEH) que je touchais pour ma fille autiste. Elle était passée de 1.100 euros à 600 euros. Et ma situation personnelle ne me permettait pas de payer toutes les interventions spécifiques dont ma fille avait besoin ».

Pour Anthony, cela a été le moyen de dénoncer « une forme de maltraitance » que son frère a subie : « François se trouvait dans une maison d’accueil spécialisée. Mais en lui rendant visite dans la journée, j’ai pris conscience que mon frère avait été sédaté fortement alors que notre mère n’avait pas signé de consentement pour le faire. Alors je l’ai sorti de là immédiatement. Mon frère était mou, et a dormi pendant 48 heures. Les explications qui m’ont été données par la direction étaient confuses. Alors afin de dénoncer cet abus de pouvoir, j’ai entamé une grève de la faim et tenté d’alerter les médias. Il n’y a qu’un seul journal de ma région qui a répondu présent. Mais je regrette cette grève de la faim aujourd’hui parce que ma santé en a pris un coup. De plus, le centre m’a menacé de porter plainte contre moi et malgré cette action, aucune enquête sur ce centre n’a été diligentée. La direction nous a même envoyé les gendarmes afin de voir si mon frère était en sécurité avec moi ! Alors aujourd’hui, j’ai décidé d’agir autrement. Et j’ai créé une association pour faire bouger la situation des personnes handicapées dans ce pays ».

Même si le désespoir ou la colère ont conduit toutes ces familles à ces formes de revendications extrêmes, le danger serait de tomber aujourd’hui dans une forme de mise en scène du malheur des autres, de voyeurisme ou de radicalisme de la cause du handicap, favorisé par certains médias à l’affût de sensationnel.  Il faut dire que ces actions coup de poing sont en général diffusées en boucle sur des chaînes d’info, poussant certains parents à aller de plus en plus loin. On filme sa détresse en direct sur Facebook, on se crée sa chaîne vidéo afin de partager son quotidien. La nouvelle ère médiatique de la victimisation scénarisée ayant offert une vitrine idéale pour toutes sortes d’opérations extrêmes.

D’autres mouvements politisés et radicaux tentent aussi parfois d’instrumentaliser la colère des familles en transformant ces actes désespérés en « coups de com » aux rouages bien huilés afin d’attaquer l’actuel gouvernement. Certains partis politiques se sont d’ailleurs immiscés dans des associations de personnes handicapées ayant compris que le handicap était un nouveau terreau de désespoir. Une nouvelle façon pour eux de renouveler leur mode de prosélytisme politique.

Mais le grand responsable de cette situation catastrophique est bien évidement la politique du handicap  menée par les gouvernements successifs. Des gouvernements qui se sont contentés de mesurettes distillées ici et là. Aucun d’eux n’a réussi jusque-là à mettre en œuvre une politique d’envergure avec une véritable vision sur ce que le handicap pouvait générer, ni en terme de croissance, ni en terme d’évolution globale de la société française.

Aujourd’hui, malgré une ministre elle-même maman d’une jeune fille trisomique, et un mouvement En Marche en faveur de l’inclusion, les progrès en matière de scolarisation des enfants handicapés, notamment des enfants autistes, restent anecdotiques et désorganisés sur le terrain. Certains enseignants parlent « d’inclusion au rabais ». Le manque de professionnels véritablement formés reste toujours au centre des préoccupations quotidiennes des familles.

Depuis des années, l’inégalité sociale entre les familles aisées, et celles aux faibles revenus, s’est creusée cruellement ne laissant guère le choix aux familles défavorisées d’en arriver à choisir ces opérations de l’extrême pour obtenir gain de cause ou un peu de prise en compte de leur souffrance.

Comme l’écrit une maman sur son blog : « Quand les pouvoirs restent muets, inaccessibles et que les appels à l’aide se perdent dans les couloirs des administrations, laissant des enfants et leurs parents, des personnes autistes ou porteurs de handicap sans solutions adaptées, la revendication par la grue s’avère un moyen très efficace ».

Alors après de nombreux suicides de parents, l’exil des personnes en situation de handicap dans des centres en Belgique, et le départ forcé à l’étranger de familles sans solution, le temps est peut-être venu pour le gouvernement Macron de réagir en mettant en place un Plan Marshall du Handicap.

Rappelons-le, l’accès à l’éducation et l’accès aux soins sont des droits fondamentaux. Et la loi de 2005 pour l’égalité des chances a gravé cela dans le marbre, il y a déjà 13 ans. Et malgré la promulgation de cette loi, la promesse d’une égalité des chances pour ces enfants en situation de handicap est loin d’être tenue aujourd’hui dans notre pays. Le dernier rapport de l’ONU, resté sous silence, témoigne une nouvelle fois de cette situation intolérable.

Par Olivia Cattan

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Separator image Publié dans Focus.