Les personnes en situation de handicap ont-elles le droit d’être sauvées ?

J’ai déposé récemment entre les mains du cabinet de la ministre de la Santé, Mme Buzyn, une lettre dans laquelle je lui faisais remonter  les informations préoccupantes, recueillies sur le terrain, relativement à l’application de la loi « Leonetti » dans les hôpitaux et les situations de handicap.

Faisons un petit rappel de La loi « Leonetti » tout d’abord :

La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite loi Leonetti, vise à empêcher l’acharnement thérapeutique dans le traitement des malades en fin de vie. Cette loi permet ainsi au patient de demander, dans un cadre défini, l’arrêt d’un traitement médical trop lourd. Cette loi consacre donc la volonté du patient. Mais si le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté (tel un adulte plongé dans le coma, un bébé, un handicapé mental) ? C’est un peu plus polémique, mais la loi permet alors au staff médical de ne pas poursuivre les soins lorsqu’ils résultent selon les médecins « d’une obstination déraisonnable », c’est à dire « lorsque les soins « apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie »  ( Article L1110-5-1 du code de la santé publique).

Qui peut juger si les soins sont utiles, disproportionnés … ? Si vous avez suivi: le staff médical et lui seul et cela « à l’issue d’une procédure collégiale »

Notez bien : les parents d’un patient hors d’état d’exprimer sa volonté  ne peuvent s’opposer à la décision du staff !

C’est la loi « Leonetti » On est pour. On est contre. Telle ici n’est pas la question.

On peut tout à fait – comme moi- considérer que cette loi constitue une réelle avancée pour le droit et la dignité des malades en fin de vie tout en étant inquiet en même temps de constater que les garde-fous ne sont peut-être pas suffisants.

Les risques de dérives existent-ils ?

Je vous laisse en juger par rapport à l’affaire sidérante que j’ai eue à traiter récemment.

Mlle Leah B est une jeune femme de 19 ans atteinte du syndrome de l’hémiplégie alternante de l’enfance (HAE). Cette maladie rare se caractérise par un retard du développement, un déficit cognitif et des états de mal épileptique périodiques. Lors de ses états de mal, la jeune fille nécessite une prise en charge en service de réanimation et un recours à une ventilation assistée. Mais lorsque les états de mal épileptiques sont régulés (cela peut prendre quelques jours ou quelques semaines), la jeune patiente retourne à son domicile à Fourneville (Normandie) où ses parents s’occupent merveilleusement d’elle. Elle est admise de jour dans un IME avec un vrai projet de vie. La jeune Leah possède des capacités relationnelles et communicationnelles tout à fait réelles et significatives. C’est une jeune fille souriante.

En novembre 2018, le CHU de Caen prend la décision de refuser sa réadmission en réanimation en cas de nouvelle crise, ce qui revenait, de fait, à la condamner à mourir en cas de nouvelle crise.

Les médecins motivent alors leur décision « par le profond handicap mental et moteur de la patiente atteinte d’une maladie neurologique génétique dégénérative sans ressources thérapeutiques. »

Le 18 novembre 2018, les parents saisissent en urgence la justice dans le cadre d’un référé-liberté.

Une audience se tient le 21 novembre 2018 au tribunal administratif de Caen.

Le 23 novembre 2018, le tribunal rend sa décision et enjoint l’hôpital de renoncer à sa décision.

Le tribunal a relevé que les médecins avaient motivé leur décision par « le profond handicap mental et moteur de la patiente » et  rappelé qu’en aucun cas « on ne peut refuser des soins à un patient en raison de son seul handicap » .

Dans le cas de la jeune Leah, le tribunal a pu constater que malgré le déficit intellectuel et l’absence de langage verbal, la jeune Leah possédait des capacités relationnelles et communicationnelles tout à fait réelles et significatives. A l’audience, nous avions diffusé des séquences vidéos prises au sein même de l’hôpital -qui la condamnait- et qui montrait la jeune fille pleine de vie et joyeuse malgré le handicap induit par sa maladie.

Ce fut évidemment un véritable soulagement pour les parents de Leah. Quant à moi, j’ai pensé, bien naïvement, que cette affaire était un cas tout à fait inédit. Mais quelques jours après, j’ai été confronté à un nouveau cas, celui d’une jeune patiente hospitalisée dans un CHU voisin, à qui l’on opposait à nouveau et contre l’avis des parents un protocole de fin de vie, sans qu’il me parût justifié autrement que par le profond handicap de la patiente. Je suis intervenu en brandissant un projet de recours. Le CHU a renoncé à son projet. Ce fut une nouvelle victoire pour mes clients.

Mais au-delà de ces « réussites judiciaires », la question de l’application de cette loi n’est-elle pas posée? Quels sont les garde-fous ?

Le handicap mental et moteur n’influe-t-il pas sur la décision des médecins ? N’est-ce pas l’idée fausse et répandue que parce que la personne handicapée souffre de façon bien plus évidente, il ne voudrait (ou ne mériterait) pas de vivre !

Pourtant Léah, comme tous les autres, malgré son handicap mental, veut voir des DVD, rire  et manger certains aliments qui lui plaisent, et voir son père à l’image quand le téléphone sonne. Alors qui peut juger qu’une vie comme celle-là ne vaut pas la peine d’être vécue ?

Par Maître Frédéric Zerbib, Avocat à la Cour

Photo : Audrey Guyon

Partager