Marina Carrère d’Encausse : un médecin engagé pour la différence

Marina Carrère d’Encausse nous a reçus, il y a quelques jours, sur le plateau de son émission quotidienne, « Le Magazine de la Santé ». Entretien avec une femme engagée.

Bonjour Marina et merci de soutenir ce premier numéro du Magazine de la Différence. Peut-on parler de retard français concernant toutes formes de différences ?

En France, nous sommes en avance sur beaucoup de choses. Mais concernant l’autisme, nous restons très en retard comparés aux autres pays que ce soit en matière de diagnostic précoce, d’accès aux soins et de scolarisation (manque d’auxiliaires de Vie Scolaire). Concernant le diagnostic précoce, il reste  tardif du fait de la méconnaissance encore trop fréquente de ce trouble par le corps médical. La prise en charge des enfants et l’accompagnement des familles doivent être améliorés. Les structures d’accueil manquent cruellement notamment pour les adultes. Et les mentalités ont elles aussi du mal à changer. Ce retard est une perte de temps et de chances pour tous ces enfants. Et même si nous en parlons beaucoup dans les médias, nous n’arrivons toujours pas à le rattraper.

Vous vous êtes beaucoup investie concernant l’autisme avec SOS autisme France dont vous êtes la marraine, pourquoi cet engagement ?

Je me suis engagée auprès de SOS autisme France parce que certaines idées sur la différence, et notamment sur l’autisme, continuent d’être véhiculées. Pendant longtemps, la mère était rendue responsable de l’autisme de son enfant. Alors que nous le savons bien, au regard des avancées scientifiques, que les causes de l’autisme sont multifactorielles : génétiques, bactériennes…Malgré tout, même si nous savons avec certitude et depuis longtemps que l’autisme n’est pas une psychose, la responsabilité maternelle est encore souvent évoquée ou du moins sous-entendue. Alors nous devons continuer à nous battre quotidiennement pour changer définitivement ce regard.

Trouvez-vous que tous les handicaps sont vus de la même façon ?

Non pas du tout. Nous avons plus de facilité à parler des personnes qui ont un accident et qui se retrouvent en fauteuil roulant que des autres formes de handicap. Nous avons encore du mal à accepter la différence même lorsque nous voulons mettre en lumière un de ces handicaps. Un jour, je devais parler d’un film avec un jeune trisomique. Et on m’a fait comprendre qu’il valait mieux inviter le réalisateur parce que l’enfant parlait trop mal. Mais j’ai tenu bon et invité la personne trisomique parce que tout l’intérêt de ce film était justement de lui donner la parole. Prenons aussi comme exemple l’autisme, la mise en avant trop fréquente des Asperger par les médias ne correspond que de très loin à ce que vit la majorité des familles concernées, ce qui perturbe le message. Alors il faut arrêter d’être mal à l’aise avec les personnes différentes et leur donner plus souvent la parole.

Lorsque vous parlez de handicap, vous parlez souvent des mamans, est-ce votre façon d’être féministe ?

Disons que je suis surtout réaliste parce qu’en effet, ce sont elles qui gèrent quotidiennement le handicap de leurs enfants. Ce sont elles qui s’arrêtent de travailler. Elles perdent non seulement le lien social mais leur carrière professionnelle est aussi stoppée brutalement. De plus, pour certains handicaps, les soins sont coûteux et restent de façon inexplicable à la charge des parents, une charge très lourde (plus de 3000 euros par mois pour une personne autiste), bien souvent impossible à supporter. Et il y a un véritable manque à gagner dans le foyer. Et je ne parle même pas de celles qui sont seules pour les élever.

Quel est le message que vous souhaiteriez délivrer ?

J’aimerais dire que nous devons être là pour soutenir et faire valoir le droit de toutes ces personnes différentes. Et que ce n’est pas aux seuls parents de se battre, c’est à la société toute entière de s’investir davantage. Nous ne devons pas détourner les yeux. Tout doit être fait pour changer le regard de notre société face à ces enfants, tout doit être fait pour contribuer à leur insertion comme pour tout citoyen, tout doit être fait pour qu’ils progressent au maximum. Aucun enfant ne peut être laissé sur le bord du chemin. Il y va de la dignité de notre pays.

Par Olivia Cattan

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