Sébastien Joachim : « Rencontre avec un être de lumière »

« Nous sommes des êtres sociaux et avons tous besoin de nous sentir utiles, de trouver un sens à notre existence »

La compréhension de l’Autre

Sébastien Joachim a 40 ans. Atteint d’une maladie génétique dégénérative rare, la choroïdérémie, qui engendre la perte irrémédiable de la vue, il est devenu Président du SJKB, dont le but de sensibiliser au handicap à travers le handicap visuel, de changer le regard de la société, de chercher des fonds pour aider à financer la recherche sur les maladies de la vue (INSERM). Il est également ambassadeur pour le Respect de la Personne Handicapée auprès de l’ONG Respect Zone et co-fondateur de son pôle Handicap, dont l’objectif est de recréer de l’inclusion grâce au numérique.

Très tôt, il s’est intéressé à la compréhension de l’Autre, à ses motivations, ses intentions, ses attitudes et ses comportements. Il s’est tourné vers des études de psychologie et obtenu un Master. En parallèle, il a développé un attrait particulier pour la communication et ses outils. Les détours de la vie l’ont aussi poussé à chercher des moyens alternatifs de dire ce qu’il avait à dire, notamment en matière de handicap. À force de faire face à des freins, des obstacles innombrables et pas mal d’ignorance, il a ressenti le besoin de s’exprimer pour dénoncer les injustices. Aujourd’hui, il essaye de changer la situation d’inertie dans laquelle le handicap est englué en France.

Comme il l’écrit : « Sa maladie étant évolutive, il est progressivement passé du statut de personne normale à celui de personne porteuse de handicap ». Puis il a fallu l’accepter et l’assumer. Endosser cette nouvelle identité est allé de pair avec la décision de s’engager pour le monde du handicap.

Comment voyez-vous votre handicap ?

J’ai commencé par voir la maladie comme une injustice qui me tombait dessus. Il a fallu apprendre à « devenir aveugle » à l’assumer et à vivre autrement. Mon handicap est resté invisible, jusqu’à l’âge de trente ans environ. Tout ce temps, je me suis fondu dans la masse et suis resté plus ou moins « incognito ». Cependant, les pertes sensorielles me transformaient imperceptiblement en un individu inadapté à l’environnement normal. Tandis que je constatais que mon environnement, lui, refusait immuablement de s’adapter à ma différence, à mes difficultés croissantes. Ce qui m’a poussé imperceptiblement à vivre en marge de cette société. Le handicap est un carcan, dont il faut se défaire pour se libérer. C’est un mot qui catégorise et nous oblige à charrier le poids des freins sociaux, de l’ignorance et des stéréotypes qui lui sont attachés. Toutes ces petites choses qui nous mènent trop souvent vers l’exclusion. Aujourd’hui je vois le handicap comme une force, une richesse, mais aussi comme mon cheval de bataille. L’expérience de vie de personne handicapée révèle tant et tant d’injustices, que celles-ci poussent à s’armer de détermination pour s’engager et essayer de changer notre environnement au lieu de le subir. Des efforts sont faits ici ou là pour améliorer la vie des personnes handicapées, cependant ce n’est pas encore suffisant, il serait nécessaire d’accentuer cette tendance, pour finir par la généraliser.

Trouvez-vous qu’aujourd’hui on vous donne suffisamment la parole en France ?

Il est clair que non. Le sujet du handicap a longtemps été délaissé. Depuis seulement quelques années, il est un peu à la mode, car nos dirigeants ont clamé qu’il était une priorité. Du coup, au lieu d’être totalement transparents, on nous sollicite quelque peu pour coller à l’actu. Cependant, même si l’intention est bonne, rien ne change vraiment. Et le fossé se creuse entre nous et le Royaume-Unis. Pays que je considère comme exemplaire en matière de handicap. Il ne faut donc  pas attendre qu’on nous « passe le micro ». Heureusement pour nous qu’internet existe. Sur la toile, il n’y a personne pour régir votre temps de parole, le thème à aborder ou vous obliger à coller au script du rédac-chef. Vous pouvez dès lors exprimer ce qui est vrai pour vous, sans avoir à complaire à qui que ce soit, sans craindre d’être censuré. Du coup les canaux de communication gratuits et accessibles (réseaux sociaux, blogs, sites etc) sont devenus des outils de choix. Ils permettent de dire ce qui est, de réinsuffler du véridique et du vécu dans ce qui est rapporté. Les personnes lambda, comme vous et moi, peuvent reprendre leur place, émettre des avis, des idées, construire des projets qui auront peut-être un impact sur le futur. Notre société ne peut rester ainsi, il faut la transformer et la façonner autrement !

La prise en charge de votre handicap est-elle facilitée ?

Mon handicap n’engendre pas beaucoup de dépenses, si on compare avec un handicap moteur par exemple. Mais je dois dire que je dois me livrer à un vrai bras-de-fer avec la MDPH de mon département, ne serait-ce que pour obtenir un petit tiers de financement de matériel adapté. Et pour un complément  de ressources légitime étant donné l’évolution de mon invalidité, il faut aller devant les tribunaux. En attendant, malgré mes différents investissements actifs, je dois  vivre sous le seuil de pauvreté, car l’exclusion professionnelle est toujours à l’ordre du jour.

Quels sont les clichés que vous avez entendus ? Les discriminations dont vous avez été victime ?

Les clichés me sont parfois adressés lors de conversations cordiales, amicales et sans heurt. L’interlocuteur faisant attention à ne pas me froisser, cherche un sujet à aborder avec moi, me parlant du développement de mes autres sens, pour compenser la vue perdue. Ou bien alors, on me prête une sorte de sixième sens qui me permettrait de percer les autres à jour. C’est peut-être vrai, peut-être pas, mais de là à le généraliser… On peut plutôt certainement qualifier cela de sensibilité accrue.

Ces clichés sont inoffensifs, voire bienveillants et mélioratifs, toutefois, il y en a aussi qui vous pourrissent la vie. Je ne sais pas si c’est pareil pour tous, mais depuis que je marche avec une canne-blanche, les inconnus à qui je demande des renseignements ont tendance à me répondre sans me regarder, mais en s’adressant à mon accompagnateur. Il y a aussi cette gifle répétée au cours de l’existence, donnée par ceux qui préjugent de nos compétences, de nos capacités à réussir. Ils nous refoulent lors des processus d’embauche dès que nous faisons mention de notre handicap. Il y a encore cette blessure terrible infligée par celles et  ceux qui annulent le café ou le cinéma et refusent même de nous rencontrer en personne.

Pourquoi selon vous on continue dans notre pays à mettre les personnes handicapées dans des cases de victimes sans tenir compte de leur créativité, de leur richesse et de leurs compétences ?

J’ai appris d’une grande militante pour le handicap, Madame Odile Maurin – que je respecte beaucoup pour son engagement et sa volonté de faire évoluer notre société – que notre façon de traiter du handicap est né d’un fait historico-culturel. Ce serait pour cette raison qu’il est si ancré dans la mentalité française. La personne handicapée est celle pour laquelle on a de la compassion, si on a un bon coeur, mais ce n’est en aucun cas un égal. C’est aussi une personne qu’on doit protéger de la brutalité et de la méchanceté des autres en la cachant dans des instituts spécialisés. C’est en tous cas ce qui serait inculqué aux familles. Nous restons des victimes potentielles dans l’inconscient collectif. Or qui d’autre un adulte doué de toutes ses facultés, se doit-il de protéger ? Nous vivons dans une société infantilisante. Hors traiter un adulte comme un enfant, cela revient à  dénier sa capacité à se débrouiller seul, à prendre les bonnes décisions et à juger ce qui est bon pour lui. Cela revient automatiquement à nier ses capacités, ses compétences et sa créativité.  Il est bien sûr nécessaire de prendre en charge les personnes qui ne peuvent s’assumer seules. Cependant, il faut leur laisser aussi l’espace nécessaire pour s’accomplir et valoriser les compétences dont elles sont douées. Nous sommes des êtres sociaux et avons tous besoin de nous sentir utiles, de trouver un sens à notre existence.

https://sjkb.jimdo.com/

https://www.respectzone.org/

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